Théologie Médiatique

Solidarité Ristigouche: contre la fracturation démocratique

Au gré de l’actualité estivale, entre les bombardements lointains et les polémiques balnéaires, peut-être n’avons nous pas assez porté une attention à ce qui se passe à Ristigouche Sud-Est, petite municipalité de 168 habitants en Gaspésie.

Inquiété par les projets entamés par la firme d’exploitation pétrolière et gazière Gastem et faute de pouvoir s’appuyer sur une réglementation provinciale, le conseil municipal adoptait en mars 2013 un règlement interdisant les forages à moins de deux kilomètres d’un puits artésien ou de surface. Une bonne idée, si vous voulez mon avis. Je le dis empreint de toute mon incompétence en matière d’ingénierie pétrolière, mais si de joyeux drilles se pointent près de votre terrain pour creuser des trous en injectant des millions de litres d’un cocktail chimique capable de fracasser de la roche, vous devriez au moins sourciller un peu. Surtout si ces mêmes joyeux drilles tentent de vous dire sans rire qu’il n’y a aucun danger.

Voilà, donc. Creusez des trous pour pomper du fric si ça vous chante, mais allez faire ça loin de mon puits. C’est un peu ça qu’ils se sont dit à Ristigouche.

À la fin de l’été 2013, voyant son projet d’exploitation pétrolière pratiquement interdit par ce règlement, Gastem a répliqué en poursuivant la municipalité devant les tribunaux. La mairesse de l’époque, Annette Sénéchal, a ainsi reçu par voie d’huissier une requête en dommages pour une valeur de 1 494 676,95$. La municipalité a bien tenté de faire déclarer la cause irrecevable, mais le 18 mars dernier, la Cour supérieure a rejeté cette requête. La cause sera donc bel et bien entendue devant les tribunaux et la municipalité devra se défendre. Aucun doute, ce sera long et coûteux.

Le hic, c’est que Ristigouche Sud-Est, avec son budget annuel de 270 000$ et ses 168 habitants, n’a pas du tout les moyens d’aller au front dans cette affaire et, si d’aventure elle devait perdre, elle serait tout bonnement ruinée. C’est ainsi que l’opération Solidarité Ristigouche a été lancée le 28 juillet dernier pour amasser des dons. Afin de se défendre adéquatement, la municipalité espère amasser 225 000$.

Évidemment, on a tendance à observer cette histoire par la lorgnette du débat sur les énergies fossiles où se pointent volontiers ceux qui sont pour les forages, convaincus que ceux qui en craignent les effets néfastes exagèrent ou qu’ils sont manipulés par des sectes écologistes qui ne font que freiner le développement économique de la province. Dans cette discussion, on s’engueulera longtemps à savoir si les forages sont dangereux ou non, et les climatosceptiques ne voudront pas donner un sou.

Or, c’est faire fausse route que d’envisager ainsi cette affaire.

Ce qui est en jeu, d’abord et avant tout, c’est le rapport de force entre les élus d’une municipalité, qui ultimement représentent leurs citoyens et agissent en leur nom, et des sociétés privées indiscutablement plus puissantes.

Ce qu’il faut bien voir, c’est que n’importe quelle compagnie qui dispose de quelques centaines de milliers de dollars pour se lancer dans l’arène juridique est plus riche que Ristigouche. Nous pourrions parvenir à la même conclusion pour bien d’autres municipalités un peu partout sur le territoire québécois.

En somme, ce n’est pas tant la qualité de l’eau potable ou de l’air qu’on respire qui est ici en jeu, mais bien celle de la démocratie. Peu importe que l’on soit pour ou contre l’exploitation pétrolière, nous devrions tous être interpellés par cette situation pour le moins inquiétante. Si des sociétés privées choisissent la voie des tribunaux pour faire valoir leur point de vue et préparer le terrain de la jurisprudence afin de faire progresser leurs intérêts, nous devons nous assurer qu’il y aura là un combat juste et équitable.

Sinon, nous acceptons que le difficile débat public auquel nous oblige la vie démocratique soit contourné par le biais des tribunaux où seuls ceux qui ont le fric nécessaire pour s’y présenter peuvent se faire entendre.

Il faut donc aider Ristigouche, non simplement par souci écologique, mais bien pour défendre l’idéal démocratique. Donner quelques dollars dans le cadre de cette campagne de solidarité, c’est s’assurer que cette cause qui nous concerne tous en tant que citoyens soit débattue à armes égales.

Refuser de les aider, ce serait tout simplement du démocrato-scepticisme.

solidariteristigouche.ca