Théologie Médiatique

Les nouvelles des spores

À moins de cataclysmes ou de coups d’État, l’été est une saison médiatique tranquille. D’ailleurs, vous trouvez qu’il ne fait pas très beau cette année. Pour ma part, je ne déteste pas ça. Surtout la pluie en juillet. C’est bon pour les champignons.

À mon souvenir, mon père n’en mangeait pas. Sa grand-mère lui avait dit un jour que les champignons étaient poison et c’était demeuré dans son esprit. J’avais, pour ma part, suivi un peu la trace de ses craintes, en digne héritier. On ne trouvait d’ailleurs que des champignons de Paris dans les étalages des marchés et, bien franchement, ça ne me disait rien qui vaille. C’était, dans ma grammaire culinaire, dans la même catégorie que les épinards bouillis et le brocoli mou. Non merci.

J’ai ainsi vécu jusqu’à 19 ans, âge auquel je devais partir voler de mes propres ailes. Je me suis retrouvé un jour de septembre dans une maison du Lot-et-Garonne. Un chic type qui m’avait recueilli sur la route alors que je faisais du stop vers nulle part m’avait invité pour quelques jours. Une bénédiction, car il ne me restait qu’une dizaine de francs avant que commencent les vendanges au domaine où je devais ultimement me renflouer le budget.

Si vous ne le savez pas déjà, dans le sud-ouest de la France, les champignons, c’est le gros truc. On ne rigole pas avec ça. On vend même des pancartes «Interdit de cueillir les champignons» dans les quincailleries, chacun protégeant son petit bout de bois où poussent des cèpes.

Or justement, Éric, ce chic type, vivait entouré de forêt et, inévitablement, un soir, comme ça, très fier et heureux, il m’a annoncé qu’on allait manger une magnifique poêlée de cèpes qu’il venait de ramasser.

— Ah ouais, euh, super!

— Tu aimes les champignons?

— Oh oui! Ils ont l’air délicieux!

Je mentais, évidemment. Un psychanalyste trouverait sans doute que, lors de ce voyage, je n’avais pas simplement quitté la maison familiale… J’étais peut-être prêt à tout pour tuer le père, comme ils disent parfois, et laisser derrière moi cette crainte mycologique dont j’avais hérité. Je devais absolument me régaler. Il fallait que je trouve ça bon! Je devais revenir chez moi, un jour, pour crier que j’avais été berné par ma généalogie!

Le rite de passage ne s’est pas trop mal déroulé. C’était effectivement délicieux. Tout simplement dans l’huile d’olive, avec du persil et un peu de ciboulette. Les journées qui suivirent me permirent de confirmer mon initiation avec d’autres espèces: girolles, trompettes de la mort et rosés des prés. Pour un peu, je me sentais comme Carlos Castaneda suivant les enseignements de don Juan Matus.

J’ai quitté plus tard cette demeure accueillante pour poursuivre mes aventures et je n’ai plus revu Éric. Je l’ai retrouvé 22 ans plus tard, alors que je me baladais dans la région en France avec ma famille naissante. J’ai pensé lui passer un coup de fil, un peu timide de n’avoir jamais donné de nouvelles, comme on se l’était pourtant promis en échangeant nos adresses à l’époque. Je n’avais pas cueilli de champignons non plus durant toutes ces années. On a repris où nous avions laissé, toujours avec le même plaisir, si bien qu’à mon retour au Québec quelques semaines plus tard, j’étais très déterminé à trouver des champignons dans les bois – ce que je fais désormais dès que je me retrouve en forêt ou à la campagne.

Il y a quelque chose d’initiatique dans la cueillette des champignons. La marche en forêt se transforme en une sorte d’observation constante du sol. On regarde sans relâche où on met les pieds, en balayant du regard chaque côté du sentier. À la longue, ça devient presque méditatif. On se met à remarquer des trucs magnifiques auxquels on n’avait jamais porté attention, on s’arrête tous les trois mètres, on avance lentement et, à la fin, une question s’impose: «Comment se fait-il que je n’avais jamais vu ça avant?»

Ah! C’est parce qu’avant, j’avançais bien hardiment, avec mes grosses bottes, en chantant Dans ma belle petite maison dans ma vallée ou autre «valderi valdera», sans considération pour le minuscule, en regardant droit devant moi! Mais qu’est-ce que j’ai pu écraser inconsciemment, toutes ces années, comme merveilles!

Aux Années lumière, la semaine dernière, à la première chaîne de Radio-Canada, la journaliste Anne Tessier-Bouchard présentait un reportage fort intéressant sur la cueillette des champignons. Car il y a de plus en plus d’adeptes. C’est même devenu un peu hipster de se promener avec un panier et un opinel pour chasser les chanterelles.

Or, qui dit plus d’adeptes dit aussi plus de risques. Chacun se met à vouloir trouver de délicieux champignons, parfois dans l’urgence, sans passer par le rite d’initiation, long et nécessaire. Dans ce domaine, la rapidité est votre pire ennemi. Il faut être patient, faire preuve de renoncement et d’humilité.

Pour y parvenir, dans un premier temps, il vous faudra quelques bons livres. Je vous en conseille deux que je vous invite à lire d’un couvert à l’autre. D’abord, Connaître, cueillir et cuisiner les champignons sauvages du Québec de Matthieu Sicard et Yves Lamoureux devrait être votre première lecture. Les photos sont magnifiques, précises et, en plus, phénomène rare dans ce genre de littérature, c’est très bien écrit. Allez-y ensuite avec l’ouvrage de Jean Després, Champignons comestibles du Québec: les connaître, les déguster. C’est un livre pratique, sans prétention et très bien fait. Pour chaque espèce, Després identifie les risques de confusions avec des champignons semblables, photos à l’appui.

Ces ouvrages vous permettront de vous initier sommairement à la mycologie et d’avoir une vue générale sur les espèces rencontrées les plus fréquemment. Surtout, vous apprendrez à reconnaître les plus dangereuses et les comestibles faciles à identifier.

Ensuite, pour un guide plus complet, vous pourrez vous lancer dans l’œuvre de Raymond McNeil, chercheur érudit qui a consacré sa vie à observer, répertorier et étudier les champignons. Les éditions Michel Quintin viennent tout juste de publier une édition revue et augmentée de son guide Champignons du Québec et de l’est du Canada, qui regroupe près de 400 espèces décrites de manière formelle dans un style scientifique qui ne laisse guère de place à la poésie. C’est une lecture beaucoup plus aride que les deux ouvrages précédents, mais une référence essentielle. Pour chaque espèce que vous tenterez d’identifier, vérifiez dans les trois guides et relisez souvent les descriptions pour les garder en tête.

Avec ces trois premiers ouvrages, vous devriez être en mesure de bien parfaire vos connaissances. Pour aller plus loin, l’ouvrage de référence à jour demeure Le grand livre des champignons de Raymond McNeil. Une bible de 575 pages répertoriant plus de 1000 espèces.

La lecture de ces guides ne sera toutefois pas suffisante. Il vous faudra des contacts et des amis pour vous aider à identifier vos découvertes. À cet égard, je vous recommande vivement de parcourir le site mycoquebec.org où des cueilleurs expérimentés discutent et mettent en commun une banque impressionnante de photos. Mais, de grâce, n’allez pas envahir leur forum de discussion avec de mauvaises photos, floues ou mal éclairées, en vous contentant de demander «est-ce que ça se mange?» Demeurez silencieux, observez les conversations et prenez connaissance des astuces pour faire de bons clichés. Une fois ces rudiments assimilés, vous pourrez mieux entamer la conversation de manière sérieuse. Encore une fois, la patience s’impose. Il en va de même sur les quelques groupes de mycologues amateurs qu’on peut retrouver sur Facebook.

Aussi, plusieurs cercles de mycologues offrent des cours d’initiation et des excursions sur le terrain dans plusieurs régions du Québec. Rien de tel qu’une balade avec un cueilleur expérimenté pour se faire la main.

Enfin, vous devrez trouver votre voie en forêt. Encore une fois, on n’insistera jamais trop sur la patience et l’humilité dont vous devrez vous imprégner au gré de vos balades. Au-delà du plaisir de pouvoir identifier quelques espèces pour la table, la mycologie est un champ d’études complexe, voire compliqué, et la vaste majorité du temps, vous devrez vous contenter de reconnaître votre ignorance.

Regardez quand même où vous mettez les pieds et avancez lentement!

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SICARD, Matthieu et LAMOUREUX, Yves, Connaître, cueillir et déguster les champignons sauvages du Québec, Fides, 2005, 366 pages.

DESPRÉS, Jean, Champignons comestibles du Québec: les connaître, les déguster, Michel Quintin, 2008, 207 pages.

McNEIL, Raymond, Champignons du Québec et de l’est du Canada, Michel Quintin, 2015, 447 pages.

McNEIL, Raymond, Le grand livre des champignons du Québec et de l’est du Canada, Michel Quintin, 2006, 574 pages.

 

Cercles de mycologues:

Montréal: mycomontreal.qc.ca

Québec: mycologie-cmaq.org/cmaq/index.php

Lanaudière et Mauricie: www.mycolanauricie.ca