Théologie Médiatique

C’est plutôt compliqué

Islamophobie n’est pas le bon mot? D’accord. Peut-être. Je ne crois pas l’avoir employé par le passé. Pas plus qu’il ne m’est arrivé de traiter quiconque de raciste depuis que vous mastiquez du niqab ou du turban. Ce sont des conclusions trop faciles.

Reste que vous avez peur de quelque chose. Et chaque fois que vous nommez cette chose, islam est le mot qui vous vient à la bouche. Ou un autre synonyme. Islamique, voilée, menu halal à la cabane à sucre. Toujours la même chose.

OK, changeons le mot. Mettons que l’islamophobie est une supercherie. Je vous laisse le soin de choisir. Lorsque quelqu’un a peur de l’islam, et qu’il le dit, quel mot faudrait-il utiliser?

C’est un débat sémantique qui sert de faux-fuyant devant l’urgence de nommer.

Et moi aussi, pour tout dire. J’ai peur. D’eux un peu. Je dois bien avouer que je ne me sens pas l’âme à l’allégresse devant un type qui souhaite instaurer la décapitation comme châtiment usuel dans mon quartier. Mais j’ai aussi peur de vous, surtout. Car lui, je ne l’ai jamais rencontré. Je l’ai vu à la télé une fois. Ou dans une chronique de Richard Martineau.

Vous, je vous croise tous les jours. Et vous lisez Martineau.

J’ai peur de leur certitude fondée sur l’ignorance. J’ai peur de votre ignorance qui s’érige en certitude.

Bien sûr, il serait plus simple et il nous semblerait plus normal que ceux qui arrivent ici puissent épouser et assimiler, en quelques fractions d’instants, notre patrimoine, notre culture et ce que nous appelons couramment notre mode de vie.

Mais la réalité est plus complexe. D’abord, parce qu’un immigrant, c’est avant tout un émigrant. Pour le dire autrement, quelqu’un qui arrive, c’est surtout, et essentiellement, quelqu’un qui part.

Vous feriez quoi, vous? Vous le savez vraiment? Sans l’ombre d’un doute?

Moi, si j’allais dans leur pays, je respecterais les coutumes et les traditions, que je vous entends dire.

Fuck you. Cessez de vous arracher le dentier avec ces conneries. Dans leur pays, vous êtes des touristes.

Respecter les traditions, pour vous, c’est porter un sombrero dans un tout inclus à Cancún en buvant un piña colada et en tâtant des maracas au jour de l’An en chantant Besame Mucho. Vous n’avez aucune espèce d’idée ce que signifie «leurs traditions». Tout ce que vous connaissez pourrait tenir dans une revue de voyage où on parle de recettes exotiques pour célébrer le Noël du campeur.

D’ailleurs, dans leurs pays, pour parler de ceux qui nous interpellent en ce moment, vous n’iriez même pas. Inutile de vous déranger pour me convaincre du contraire. Il n’y a pas de voyages organisés dans ces contrées lointaines. Cessez de me baratiner avec cette daube.

Leurs traditions? Faites-moi rire. Vous ne connaissez même pas les vôtres. Vous débarquez tout juste. Vous êtes des néophytes permanents.

Parlons du serment de citoyenneté puisque ça semble soudainement vous intéresser, cette mascarade.

Comme vous êtes tous devenus exégètes de nos traditions locales et ancestrales, vous n’êtes pas sans savoir que les nouveaux citoyens, pour passer le test de la citoyenneté, doivent prêter serment à Sa Majesté.

Or, comme vous le savez sans doute, puisque vous nagez dans la certitude, cette Majesté, selon l’ordre de succession au trône britannique, ne peut qu’être de confession anglicane. C’est une condition essentielle et indiscutable. Autrement dit, ce rôle de chef d’État canadien, hautement symbolique, est de bout en bout fondé sur une discrimination religieuse. On est assez loin ici du principe de laïcité qui semble vous animer soudainement.

Ah! Coquin de sort! Alors que vous revendiquiez vos traditions, tandis que vous appeliez vos concitoyens à mettre leurs culottes pour ne pas laisser ces chevaliers religieux nous envahir, vous ne vous rendiez pas compte que vous défendiez, par la bande, un bal masqué hautement discriminatoire dont les assises politiques et historiques consistent à privilégier tout particulièrement une confession religieuse.

Et vous avez même trouvé que le Bloc québécois pourrait être le défenseur de cette tradition.

Vous êtes vraiment des comiques. Vous ne m’étonnerez plus.

C’est bon, vous ne saviez pas. L’ignorance est à la fois votre crime et votre alibi. Ça peut se pardonner, mais reculez de trois pieds s’il vous plaît. Vous marchez sur la pelouse et ne me dites pas que vous n’aviez pas vu la pancarte.

Nous ne pouvons pas garer nos voitures au Walmart le samedi après-midi pour acheter en une fin de semaine l’équivalent du PIB de la Mauritanie en provisions cheaps et refuser tout bonnement les chocs culturels que nous devons affronter. Ce sont d’ailleurs des bouleversements que nous avons à bien des égards provoqués dans notre quête visant l’idéal qui consiste à aller remplir de cochonneries des paniers d’épicerie gros comme des transatlantiques.

Bien sûr, ce constat, qui n’en est peut-être même pas un, ne suffit pas pour comprendre le monde complexe dans lequel nous vivons. Mais nous ne pouvons pas non plus en faire l’économie. Ce monde pluriel, branché, libéré des contraintes des frontières géographiques et des barrières culturelles, nous le revendiquons tous les jours. Elle est dans votre frigo, bien au frais, votre compréhension du monde.

À un tel point que nous avons oublié. Tout nous semble si simple, si facile. Nous sommes prisonniers du ici et maintenant sans origine et sans conséquence. Se questionner est un luxe et le temps c’est de l’argent. De fait, nous n’avons pas le temps de nous questionner. Nous voulons des promesses, simples, faciles à comprendre. Nous voulons être mis devant un choix simple.

Alors, pour ou contre le niqab sur votre photo de carte de bibliothèque scolaire?

Ben voyons! Quelle question! Je suis contre! Pas vous?