Voix publique

La business du déménagement

En cette divine année 2007, et au jour béni du 1er juillet, je marquerai la douzième année où je n’aurai PAS eu à endurer la torture d’un déménagement. Ouf…

C’est une journée de bonheur suprême, que j’ai célébrée à chacune des 12 dernières années, pendant que je regardais, le coeur rempli de compassion, mes pauvres voisins plus malchanceux que moi devoir se taper le leur.

Ce n’est pas que je n’aime pas déménager. Je HAIS déménager. Je crois que je souffre d’une espèce de stress post-traumatique hérité de l’enfance. J’ai grandi dans une famille plutôt pauvre, où mon père, ne serait-ce que pour économiser un maigrichon 5 $ par mois sur un loyer, nous obligeait à déménager tous les ans. TOUS LES ANS, ou presque. Nous étions beaucoup dans cette même situation.

J’en ai développé un dédain, que dis-je, une phobie des déménagements. Dans le temps de la "déménagite" aiguë de mon père – évidemment, c’était ma mère qui se tapait tout le boulot et tout le stress -, le Québec était déjà une société distincte en imposant les déménagements le 1er mai.

On n’a jamais trop su d’où venait ce diktat, intégré parfaitement par les Québécois dans la plus totale obéissance, mais on savait que le diktat existait. Et comme c’était beaucoup les ouvriers qui changeaient de pénates régulièrement, c’était eux aussi qui écopaient des coûts supplémentaires qui venaient avec la "business" qui s’est inévitablement créée autour du rituel du déménagement à date fixe.

Avec la business du déménagement viennent les coûts astronomiques des compagnies de déménagement, because la demande est si forte à date fixe, sans oublier les coûts élevés de simple location d’un camion, because l’inévitable pénurie.

LE KLONDIKE

Suivent aussi le Klondike pour les compagnies de téléphone, de câblodistribution, les frais de changement d’adresse pour ceci et cela, les frais de suivi de courrier, et Dieu seul sait quoi d’autre encore. Et c’est sans parler des propriétaires eux-mêmes qui, dès que le 1er juillet approche, augmentent leur loyer en conséquence…

C’est encore plus ou moins la réalité aujourd’hui. Avec la petite différence que le 1er mai est devenu le 1er juillet – un peu pour faire un pied de nez à la fête du Canada, mais surtout pour éviter que les enfants soient obligés de changer d’école avant la fin de leur année scolaire.

Bref, le Québec est la seule juridiction en Amérique du Nord où l’on exploite les gens à date fixe! Ailleurs, les dates de déménagement sont plus flexibles, donc les compagnies de ceci et de cela le sont aussi puisqu’on évite ainsi la montée fulgurante des prix du moment où la demande dépasse l’offre. Ce qui arrive inévitablement lorsque les choses se font à date fixe.

DES PETITS DÉBROUILLARDS

Heureusement que les Québécois, de bons petits débrouillards, ont tout de même développé au fil du temps des manières de contourner le diktat du déménagement à date fixe. La première est de déménager moins souvent. Le "peuple de locataires" que les francophones formaient devient de plus en plus propriétaire – un plus grand gage de stabilité.

Les locataires qui sont face à des propriétaires voraces portés sur des augmentations annuelles coriaces optent aussi de plus en plus pour des "cessions de bail". Avant que le bail n’expire, ils le cèdent à quelqu’un d’autre au loyer du moment et s’évitent ainsi la folie, le stress, la chaleur et les dépenses exagérées du 1er juillet.

Mais il n’y a pas que des inconvénients au diktat du 1er juillet – surtout lorsqu’on n’a pas à déménager soi-même! Il y a le fun de parcourir les ventes de garage et d’y dénicher de vraies aubaines… lorsqu’on est chanceux. Ceux qui fréquentent les ventes de garage "upper scale" de Westmount et d’Outremont trouveront peut-être moins d’aubaines, mais ils se rinceront au moins l’oeil…

Et il y a ce nouveau geste de partage que de plus en plus de gens posent lorsqu’ils déménagent. Ils laissent à l’extérieur des articles en très bon état, mais dont ils ne veulent plus, en affichant qu’ils sont gratuits pour ceux qui veulent les prendre. Comme un troc informel qui favorise le recyclage plutôt que le gaspillage. Bravo!

N’ABANDONNEZ PAS VOS ANIMAUX!

Mais il y a aussi un côté sombre aux déménagements à date fixe, qui me met dans une colère mauve à chaque année. Je ne veux pas faire ici ma Brigitte Bardot, mais cette question me tient vraiment beaucoup à coeur. Je parle ici de l’abandon d’animaux, la plupart du temps de chats.

Si cela vous passe par la tête, s’il vous plaît, ne le faites pas. C’est un sort très dur qui les attend: la faim, les autos, le froid l’hiver, les maladies, la vulnérabilité face aux autres animaux errants ou aux humains cruels, et j’en passe.

Trouvez plutôt quelqu’un pour les adopter. Prenez le temps, c’est important. Ils vous ont aimés lorsque vous les avez pris avec vous, alors rendez-leur au moins du respect en ne les abandonnant pas. Une vie, c’est une vie.

Quant aux propriétaires, pensez-y à deux fois aussi avant d’annoncer "pas d’animaux". Retenez-vous de le faire. Ce sont des animaux que vous sauverez de l’abandon.