Voix publique

Que reste-t-il de nos amours?

Le 24 juillet 1967, le général de Gaulle lançait son "Vive le Québec libre!" du balcon de l’Hôtel de Ville de Montréal. Quarante ans plus tard, il ne s’y reconnaîtrait plus.

Sans faire dans le catastrophisme et, surtout, sans prétendre à ce que la chose dure pour l’éternité, le Québec semble aujourd’hui pris dans une espèce de vide existentiel.

L’anecdote nous occupe à temps plein – grand Dieu, que faire de tous ces viaducs vacillants? Et comme je l’ai déjà observé dans ces pages, la quotidienneté, la p’tite vie fascinent tant nos politiciens qu’ils en font maintenant le centre de leurs préoccupations. On troque les chefs d’État pour des gérants de boutique.

On reverrait Le confort et l’indifférence de Denys Arcand – une réflexion brillante sur la déprime de l’après-référendum de 1980 – qu’on se croirait en 2007. À la différence près que la déprime actuelle est moins spectaculaire, mais semble plus profonde.

Pour ce qui est de ce qui devait être la locomotive du mouvement souverainiste, le Parti québécois, il s’est mis à la remorque des focus groups. L’heure est à l’air du temps. D’où une déception sourde qui continue à gagner du terrain, même chez les plus ardents.

Au point où la possible création d’un autre parti souverainiste se discute tranquillement. Ce qui demeure une intention chez des gens qui, dans les faits, ont peu de moyens concrets pour le faire.

PAS DE MON VIVANT

Yvon Deschamps exprimait un peu tout cela dans Le Devoir du 7 juillet. Comme d’autres Québécois de plus de 60 ans, il ne se censure plus et dit le fond de sa pensée: "Maintenant, je sais que je ne verrai pas le pays du Québec de mon vivant."

Mais attention. Pas de prétention baby-boomeresque chez lui, du genre "après nous, le déluge"! Le constat est là, tout simplement. Ce vide existentiel, il le voit aussi: "Nous sommes dans un vacuum où tout le monde est perdu." Sans complaisance ni hargne, il voit le PQ tel qu’il est devenu au fil des ans: obnubilé par le pouvoir.

Deschamps met le doigt sur un gros bobo: le PQ "voulait trop le pouvoir et n’a pas voulu prendre le risque de faire des choses qui auraient pu le lui faire perdre pendant un boutte."

Aujourd’hui, plus loin que jamais de ce pouvoir, on le sent prêt à n’importe quoi, ou presque, pour y retourner. Surtout, ne pas déranger la visite avec le méchant référendum.

Pas de surprise donc à ce qu’il y en ait au PQ qui jonglent avec toutes sortes de formules pour éviter cette question à la prochaine élection. L’idée la plus saugrenue qui circule en ce moment est paradoxalement celle qui pourrait séduire par son apparence faussement vertueuse: la "consultation d’initiative populaire".

C’est que des péquistes cherchent un moyen d’appliquer l’idée de Madame Marois voulant que même si elle prenait le pouvoir, elle attendrait que les gens lui disent de tenir un référendum.

UNE ABSURDITÉ

Et quelle est cette étrange bibitte? La "consultation d’initiative populaire" veut que le "peuple" puisse signer un registre pour demander un référendum sur la souveraineté. Un mini-référendum pour tenir un référendum!

Pouff! Par magie, le PQ n’aurait plus à s’engager. Le "bon" peuple le ferait pour lui. Quelques dizaines de milliers de signatures – on ne sait trop -, et le gouvernement serait obligé d’en tenir un. Allons enfants de la patrie, le jour du registre est arrivé!

Comme disait ma grand-mère, "quand c’est trop beau pour être vrai"…

La réalité est que ce serait plutôt une recette parfaite pour la déresponsabilisation finale du PQ. Le moyen d’exprimer cette volonté existe pourtant déjà. Ça s’appelle une élection accompagnée d’un mandat clair. Mais cela supposerait que le PQ ne retournerait au pouvoir que le jour où l’électorat le voudrait en toute connaissance de cause, sachant, comme en 1994, qu’il tiendrait un référendum. Ce qui pourrait reporter le retour au pouvoir d’un mandat ou plus.

Dans le contexte politique québécois, la consultation d’initiative populaire est aussi un piège monumental. Comment limiter ce registre à un seul sujet? Que faire, par exemple, si des parents anglophones et francophones s’unissent pour demander un référendum sur le retour au libre choix de la langue d’enseignement – une position populaire au Québec même si elle est suicidaire? Que faire si le registre se remplit pour la privatisation du système de santé – aussi une position appuyée par une majorité?

Même si c’est pour tenir un référendum sur la souveraineté, qui empêcherait des citoyens fédéralistes d’ouvrir un registre pour en demander un dans un moment où les appuis du OUI seraient à leur plus bas, question de "régler" le problème?

On ne peut continuellement chercher à réinventer la roue. En démocratie, rien ne remplace un mandat électoral clair pour donner la légitimité de faire quelque chose.

Si le général de Gaulle revivait et revenait ici 40 ans après son discours et qu’il entendait parler de cette idée de "consultation d’initiative populaire", cette fois-ci, il passerait peut-être son chemin.