Voix publique

Le futur club des « ex »

Gilles Duceppe a un sens de l’humour impressionnant. En entrevue, le matin où la une de La Presse titrait "Duceppe prépare sa sortie", il en a raconté une bonne.

Le chef du Bloc a déclaré, pince-sans-rire: "imaginez qu’on aurait une belle victoire du Bloc à la prochaine élection, qu’il y en a une belle du PQ, qu’on s’en aille vers un référendum, et moi, je dirais que je me retire? Ça n’a aucune logique!"

La semaine dernière, j’écrivais que Pauline Marois avait la pensée positive contagieuse. De toute évidence, il en a attrapé toute une dose! Les chefs ont beau ne jamais avouer qu’ils sont dans le pétrin, ça prend quand même toute une imagination pour voir venir un référendum.

Évidemment, M. Duceppe ne pouvait que démentir. Il y a quand même des limites à jouer les canards boiteux. Mais comment ne pas avancer l’hypothèse qu’après la prochaine élection, si le Bloc perd encore du terrain face aux conservateurs et même au NPD, il est peu probable que M. Duceppe reste?

ÇA SENT LA PRE-RETRAITE

Veut, veut pas, même s’il sera là pour la prochaine élection, ça sent la pré-retraite pour M. Duceppe. L’année de ses 60 ans, 2007 marque aussi sa dixième année à la tête du Bloc. Dix ans dans l’opposition, ça use son homme, quel qu’il soit.

Cette semaine, le Bloc a paniqué parce qu’il craint qu’à cause de La Presse, les électeurs pensent que leur chef quittera après l’élection. Pourtant, si Gilles Duceppe croyait ce printemps qu’il pouvait se permettre de quitter pour prendre la direction du PQ, pourquoi paniquer dans l’éventualité d’un départ remis à plus tard encore?

De fait, sa tentative de prendre Pauline Marois de court avait déjà envoyé le message qu’il préférait diriger le PQ et qu’il était, d’une certaine façon, rendu ailleurs. Qu’il ait fait ensuite son acte de contrition et accepté de faire la prochaine élection fédérale, c’est déjà ça de pris pour les bloquistes.

Mais s’il se fait aujourd’hui les muscles en menaçant de voter contre le discours du trône de Stephen Harper après avoir passé la dernière année à empêcher les conservateurs de tomber, c’est aussi pour montrer à son caucus, qu’il n’avait pas consulté avant de tenter de faire le saut au PQ, qu’il ne fera plus la carpette devant Harper. Les députés du Bloc l’ont compris, mais peut-être trop tard: plus ils baissent les bras, plus ils perdent du terrain.

Cela étant dit, Gilles Duceppe demeure malgré tout un chef respecté, même par ses adversaires – un cas rare par les temps qui courent. Mais comme tout le monde, il voit sûrement que depuis la fin de l’âge d’or du scandale des commandites, le Bloc perd des plumes. Aux élections partielles, Roberval lui a échappé, sa majorité dans Saint-Hyacinthe-Bagot a fondu plus vite que le caramel dans la Caramilk et dans Outremont, il est passé de 29 % à un tout petit 10 %.

Il y a aussi de ces indices qui ne mentent pas. Michel Gauthier, pilier du Bloc, a quitté le bateau pendant qu’il flottait encore. Même sans boule de cristal, il est également clair que sans référendum du côté du PQ, le Bloc est condamné à errer dans les corridors du parlement fédéral, réduit à mener les combats pour les fédéralistes québécois contre le déséquilibre fiscal ou le pouvoir fédéral de dépenser. Pas très sexy.

Pendant ce temps, à Québec, Mario Dumont a le vent dans les voiles. Les éditorialistes ont beau souligner à gros traits la moindre de ses contradictions, cela n’a aucune prise sur les électeurs qui l’aiment, ni sur ceux qui, déçus du PQ et du PLQ, risquent de voter pour l’ADQ ou de se joindre à elle par défaut.

LE BAROMETRE "GARON"

Un de ces "déçus" est Jean Garon. Son passage à l’ADQ, lors du conseil général du week-end dernier, en dit long. C’est que Garon, un ancien ministre péquiste qui, il faut le dire, a toujours porté à droite sur les questions économiques, est surtout un indépendantiste pur et dur. D’où son expulsion du conseil des ministres sous Lucien Bouchard.

Lorsqu’un indépendantiste comme M. Garon compare Mario Dumont à René Lévesque et le voit comme le seul chef apte à "rassembler" les Québécois, cela veut surtout dire qu’il ne croit plus que le PQ réalisera l’indépendance de son vivant. Et donc, qu’il préfère mettre son énergie ailleurs. M. Garon est loin d’être le seul au Québec à penser de cette façon.

Et pendant ce temps, à Ottawa, Stephen Harper est encore, et de plus en plus, mort de rire. Dion et Duceppe sont dans la tourmente, déstabilisés par leurs adversaires, intérieurs ou extérieurs, de même que par leurs propres erreurs de jugement. Et encore, le cas de Dion semble plus dramatique que celui de Duceppe.

Les plaques tectoniques bougent, autant à Ottawa qu’à Québec. À terme, elles risquent fort d’entraîner avec elles les Duceppe, Charest et Dion. Quel beau futur club des "ex" en perspective.