Voix publique

La pantoufle d’Amir

Le 7 janvier, sur les ondes de Radio-Canada, Amir Khadir listait ses grands classiques de la chanson québécoise. Sa chanson fétiche? Tout arrive à qui sait attendre, d'Ève Cournoyer… Un titre bien à propos pour le médecin-nouveau-député-de-Mercier.

Tombé tout jeune dans la marmite de la militance, Khadir en est en effet la preuve vivante. Mais Khadir et Québec solidaire (QS) sont aussi, d'une certaine manière, le produit de l'ère post-référendaire.

QS est né de la fusion d'Option citoyenne (OC), fondée par Françoise David, et de l'Union des forces progressistes (UFP), où Khadir militait aux côtés, entre autres, d'universitaires renommés tels que Gaétan Breton et Omar Aktouf. Mais que ce soit QS, OC ou l'UFP, ils sont tous un peu nés de la déception de souverainistes progressistes face au virage conservateur de Lucien Bouchard à la tête du Parti Québécois.

À l'époque où j'écrivais pour Le Devoir, je les avais d'ailleurs baptisés les "orphelins de Bouchard". Au fil des ans, le tout s'est renforcé à mesure que les successeurs de M. Bouchard refusaient de se distancier plus clairement de son héritage.

Bref, on aura beau dire que la victoire de Khadir est l'ouvre de la "gauche caviar du Plateau", elle est surtout tributaire de cette incapacité du PQ à réoccuper le créneau "progressiste", lequel était pourtant le sien jusqu'au dernier référendum.

C'est pourquoi, si Amir Khadir devait réussir à s'entourer d'autres porte-parole crédibles et à se démarquer en ramenant sur la place publique un discours plus clair sur la souveraineté et plus près des préoccupations des plus démunis, mais aussi des travailleurs et de la classe moyenne, Pauline Marois ne pourrait faire l'économie d'une réflexion sérieuse quant aux orientations du PQ.

UN DÉPUTÉ PAS COMME LES AUTRES…

Mardi, à sa conférence de presse tenue à l'Assemblée nationale, même s'il venait flanqué de Françoise David pour parler d'économie, les questions ont fusé sur son fameux lancer du soulier sur une effigie de W. Bush lors d'une récente manif. On lui demanda s'il le "regrettait".

Sa réponse? "Bien, je promets que la prochaine fois, ce sera une simple pantoufle. Peut-être que ça va faire moins mal!" Qualifié par certains de "vent de fraîcheur" et par d'autres d'"affront", son lancer remarqué de la godasse promet surtout un député pas tout à fait comme les autres…

Ce geste surprenant est à mettre dans l'idée qu'il se fait du rôle d'un élu. Disons qu'il n'a rien d'une "plante verte", ni d'un haut-parleur trempé dans la rectitude politique.

Ce qu'il en dit? Être député, "c'est accompagner les citoyens" en étant "assez libre de nos opinions sur des enjeux qui, malheureusement, ne trouvent pas assez de résonance auprès de nos décideurs publics", que ce soit en politique québécoise ou internationale.

S'il a lancé ce soulier, dit-il, il l'a fait en soutien au journaliste arrêté après avoir lancé ses souliers à Bush et contre ce "symbole du mensonge, de Guantanamo, de la manipulation et de la mort". Et lorsqu'on lui parle du passage au privé de Philippe Couillard et de l'adoption tout juste avant son départ de règlements favorisant une plus grande ouverture aux cliniques privées, Khadir ne fait pas de cadeau: "C'est un geste déshonorant pour la fonction de député", dit-il. En tant que médecin, ajoute-t-il, "je sens une profonde trahison personnelle".

Pour ou contre, ça tranche et ça ne manque pas de clarté!

Ne serait-ce que pour cela, ses 124 collègues devraient lui envoyer discrètement une petite note de remerciement.

Avec un taux de participation chutant à chaque élection, on ne peut pas ignorer une de ses causes principales: l'impression que les députés n'ont que des "cassettes" et surtout, qu'ils ont de moins en moins de pouvoir. Bref, pourquoi voter?

Même s'ils ne sont pas des plantes vertes, il est vrai que depuis 30 ans, on assiste à l'effritement continu du pouvoir de ce qu'on appelle la branche "législative". Ce pouvoir, les députés l'ont surtout perdu au profit du sommet de l'"exécutif" (le bureau du premier ministre), des juges, du pouvoir financier, de la haute fonction publique et de processus décisionnels rendus tellement complexes et obscurs que les élus n'y jouent souvent qu'un rôle de figurant, et non de décideur.

Tout en respectant leur ligne de parti, une prise de parole plus claire et plus représentative par les députés aiderait peut-être à ralentir ce mouvement.

Ce qui frappe aussi, c'est comment l'arrivée d'un "simple" député ramène un type de discours, appelons-le "progressiste", qui, depuis des années, fut plutôt caricaturé dans les médias grand public. (Quoiqu'une certaine radio-poubelle de Québec aura été dure à battre dans le département du bashing de tout ce qui est à gauche de Maurice Duplessis!)

Pourtant, dans les années 60 et 70, parler de la création d'une "société juste" était plutôt mainstream, autant à Ottawa qu'ici! Au point, d'ailleurs, d'accoucher de plusieurs politiques conséquentes. Mais ça, c'était évidemment avant l'arrivée du tandem Reagan-Thatcher et l'apparition un peu partout de think tanks conservateurs influents, bien branchés et bien subventionnés.

Bref, ce n'est ni le Plateau, ni la gauche caviar qui font leur entrée à l'Assemblée nationale. C'est seulement le retour, fort modeste, d'une vision qui manquait cruellement dans cette enceinte depuis longtemps.