Voix publique

La question qui tue

En 2008, la Caisse de dépôt et placement (CDP) perd 39,8 milliards de dollars. Son rendement est amputé de 25 % et ses pertes sont supérieures à celles des autres caisses de retraite canadiennes. Désolée pour ce rappel douloureux en pleine semaine de relâche…

La question qui tue: pourquoi ces autres caisses, malgré la crise mondiale, ont-elles fait mieux? Le verdict: les dirigeants de la CDP ont acheté trop de papiers commerciaux. Une perte de 22,4 milliards de dollars. Bon. Mais ça, c'est l'arbre. Voyons maintenant ce qui se cache dans la forêt, soit l'AUTRE facteur.

Même si les dirigeants de la Caisse l'ont identifié comme le "premier" facteur de cet écart, il a moins retenu l'attention. Je parle ici du "coût de la couverture contre le risque de change" – une assurance prise pour protéger, en entier ou en partie, des investissements faits à l'étranger en cas de fluctuation des devises. Ce qui arriva au dollar canadien en 2008. Résultat: la Caisse a payé un montant record de 8,9 milliards de dollars pour cette couverture, dont la majeure partie est comptabilisée dans ses pertes.

Mais si elle a déboursé autant, c'est que, selon ses propres mots, elle détient "une proportion nettement plus importante de placements privés et immobiliers hors Canada" que les autres caisses canadiennes. Traduction: la CDP, forte d'un actif de 155 milliards de dollars en 2007, a placé une proportion plus grande de notre argent à l'étranger que les caisses du reste du pays ne l'ont fait avec l'argent de leurs propres déposants! Cherchez l'erreur.

La boîte de Pandore

Nous voilà donc face à la boîte de Pandore, ouverte par le coût faramineux de cette assurance: l'investissement accru à l'étranger visant le rendement à court terme. Dans Le Devoir du 3 mars, Robert Laplante de L'Action nationale avançait que la part de placements de la CDP au Québec serait passée de 46 % à un petit 17 %. Si cela se révélait juste, ce serait inacceptable. Et pourtant, si elle avait investi davantage ici en bon père de famille prudent, elle aurait sauvé une bonne part de ces 8,9 milliards payés en protection et aurait sûrement fait un moins pire rendement.

Dans cette boîte de Pandore se trouve aussi la nouvelle Loi sur la Caisse, adoptée sous bâillon en 2004. En 1965, Jean Lesage donnait une double mission à la Caisse: faire fructifier les avoirs des Québécois ET contribuer à l'économie d'ici. En 2004, cette mission fut modifiée pour "rechercher le rendement optimal du capital tout en contribuant au développement économique du Québec". Sur son site, la Caisse précise que ses "investissements sont répartis au Québec, au Canada et ailleurs dans le monde, partout où des occasions d'affaires intéressantes se présentent". Investir ici ou ailleurs importe donc moins que le rendement immédiat. Ce "virage rendement" fut suggéré entre autres par Henri-Paul Rousseau, ex-pdg de la Caisse, nommé par le PQ et parti chez Power Corp l'an dernier. Ce virage tourne le dos à la logique première de la Caisse. Pour M. Rousseau, c'est en obtenant un meilleur rendement, où que ce soit dans le monde, que la Caisse peut contribuer à l'essor du Québec, et non l'inverse. Et pas un mot sur le risque à long terme d'investir autant hors Québec.

On voit aujourd'hui où tout ça nous a menés: moins de rendements et plus d'investissements à l'étranger. Bravo pour le beau programme! Malgré tout, certains disent que la "mission" de la Caisse serait un faux débat. Faux débat, mon oil! J'en veux ceci pour preuve.

Voir plus loin que le bout de son nez

En décembre 2004, Yves Séguin, alors ministre des Finances, a discuté avec le critique péquiste François Legault d'un amendement à la nouvelle loi. Plutôt qu'une mission visant le rendement "TOUT en contribuant" à l'économie québécoise, il suggérait de placer rendements et développement sur le même pied. Malheureusement, M. Séguin n'aurait pas réussi à convaincre Jean Charest. Demandant ce qui arriverait alors si Bombardier recevait une offre d'achat étrangère, François Legault prédisait que le rendement optimal intéresserait plus la Caisse que d'aider à garder Bombardier au Québec! C'est bel et bien ce qui s'est produit depuis dans le cas d'Alcan, entre autres. Bref, la mission de la Caisse n'est PAS un faux débat.

Cette nouvelle loi a également changé le mode de gouvernance de la Caisse. Elle a retiré à l'Assemblée nationale le droit de démettre le pdg; mis fin à la présence statutaire à son C.A. des grandes centrales syndicales; et interdit au Vérificateur général d'examiner sa gestion dans son entier. Ce qui, notait Jacques Parizeau, n'a pas rendu la Caisse plus "indépendante" du politique. Au contraire! C'est le premier ministre qui a vu son pouvoir renforcé puisqu'il peut démettre le pdg et nommer les membres du C.A. selon son bon vouloir.

On parle beaucoup de la récession. Normal. Mais même à plus long terme, notre économie est vulnérable. Québec inc. n'est plus que l'ombre de lui-même. La Bourse de Montréal est partie à Toronto. Plusieurs fleurons sont passés sous contrôle étranger. Et Ottawa entend créer une commission canadienne de valeurs mobilières. Dans un tel contexte, il est impératif que la Caisse redevienne pour les Québécois un puissant outil de développement. Les prochaines générations risquent d'en avoir vachement besoin!