Voix publique

La décennie de la peur

Un bien drôle de chiffre, ce 2010, qui se pointe maintenant le bout du nez. Sans personnalité. Même un peu quelconque. Et surtout, précédé d'une bien drôle de décennie…

On ne s'en sort pas. La décennie des années 2000 fut celle de la peur. Avec un grand "P". Peur du terrorisme. Peur des virus et des bactéries. Peur de manquer de Purell. Peur de la récession et des déficits.

Une peur diffusée en direct partout, tout le temps, sur les chaînes d'information continue.

Les tours tombent

À l'international, la décennie fut plus précisément celle du retour de la peur. Lorsque les deux tours du World Trade Center s'effondrent le 11 septembre 2001, la peur du terrorisme remplace celle du communisme. Elle-même disparue depuis 1989 sous un autre effondrement – celui du mur de Berlin.

George W. Bush joue de cette nouvelle peur comme d'un violon. La chasse à ben Laden en Afghanistan est virtuelle. Mais les morts, eux, sont vrais. On assiste à l'invasion de l'Irak pendant que se met à circuler sur Internet une nouvelle arme redoutable dans la "guerre des images": la retransmission intégrale de décapitations. Le Moyen-Âge frappe à la porte…

Le spectacle est traumatisant. Le sang gicle en direct. Celui des décapités, des soldats et des populations civiles. Et il éclabousse le monde entier. Mais on interdit de monter à bord des avions avec une simple lime à ongles. Question de nourrir la peur. Tout le temps. Résultat: l'anti-américanisme se métamorphose en anti-occidentalisme et les intégrismes religieux montent. Un gâchis monumental.

La décennie se terminera toutefois sur l'élection spectaculaire de Barack Obama et l'espoir de "changement". Sans compter les attentes grandissantes sur le front environnemental. À suivre dans les années 2010…

La décennie du phénix

Au Québec, Jean Charest, véritable phénix politique, aura dominé la décennie 2000. En 2003, il prend le pouvoir et entame sa "réingénierie" de l'État. Malgré les manifs, il gagne encore en 2007. Mais minoritaire. Remerciements à André Boisclair. En 2008, il répète l'exploit de Maurice Duplessis en se tapant un troisième mandat consécutif. Majoritaire! Et par hasard, il remet les deux mains sur le volant tout juste avant le gros accident de la Caisse de dépôt et placement…

Mais en 2009, tout comme pour Duplessis en fin de régime, des odeurs de collusion et de corruption se mettent à flotter sur la Belle Province. Pris dans un épisode interminable des Soprano, les journalistes d'enquête parlent de mafia, de blanchiment d'argent, de Hells et de gros entrepreneurs aux yachts luxueux et aux amis bien branchés en politique…

Face à Ottawa, le gouvernement Charest demande de l'argent. Que de l'argent. Mais il s'empresse d'en jeter par la fenêtre des poches pleines de milliards en baissant les impôts. En fermant les yeux devant la perte de 40 milliards de dollars par la Caisse de dépôt. Et en nous faisant payer, sans poser de questions, de 30 % à 35 % trop cher pour les infrastructures.

Quant à l'ADQ, en 2007, elle s'approche du paradis en devenant l'Opposition officielle. Mais elle redescend dans l'enfer de l'insignifiance dès 2008. Puis son chef-fondateur, Mario Dumont, quitte pour pratiquer ce nouveau sport national distinctement québécois: le saut rapido presto d'"ex"-politiciens dans les médias.

Après le départ de Lucien Bouchard en 2001, le PQ change de chef comme il change de chemise. Il émergera lentement de son coma avec Pauline Marois sous qui la souveraineté devient un "projet" de pays dont on parle, parle, jase, jase. Mais pas trop.

Exit le Parti libéral du Canada

Au Parti libéral du Canada, le scandale des commandites, les putschs à répétition et l'union de la droite ont raison de sa domination historique au fédéral.

La montée d'une droite à l'américaine déterminée à détrôner le PLC comme le natural governing party du Canada marque en partie le déplacement du pouvoir politique et économique du "Canada central" vers l'Ouest. Bref, ce fut la décennie de Stephen Harper.

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La décennie fut aussi celle des bandits et des économistes à cravate. De la cupidité des milieux financiers. De l'échec mondial de la déréglementation. De la crise des médias. D'un droit de vote de moins en moins exercé face à des élus se délestant de plus en plus de leurs pouvoirs.

Le grand disparu: l'imputabilité remplacée par l'impunité.

Le grand revenant: la peur.

La grande surprise: Obama.

Quelques ajouts au lexique politique québécois: girouette; coffre à outils; accommodements raisonnables; milliards en pertes; les deux mains sur le volant; Tony Accurso; enveloppes brunes; for English, press 9, etc.

Version "années 2000" du cocooning: une montagne de livres de recettes, d'antioxydants et d'émissions de décoration intérieure…

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Sur ce, je vous souhaite un Noël d'amour et de santé, une carte de crédit raisonnable et de beaux rêves de commissions d'enquête qui n'auront jamais lieu!

Et surtout, gardez les deux mains sur le volant en toute sobriété!