Voix publique

Vivre sur du temps emprunté

Quelle que soit la formule choisie par Jean Charest pour tenter de sauver son parti de la vindicte populaire à quelques jours de son congrès, le but visé crève les yeux: acheter du temps et calmer ses propres troupes de plus en plus inquiètes.

Bref, même dans la foulée du rapport Duchesneau – «patente à gosses» ou pas -, la vérité toute nue sur ce magma nauséabond de collusion, corruption, copinage, mafia, détournement de fonds publics et financement occulte des partis attendra. Encore…

Elle attendra parce qu’elle risquerait trop d’éclabousser les élites politiques et leurs réseaux d’affaires. En premier lieu, le PLQ.

Cela dit, Jean Charest n’est pas le seul ces jours-ci à magasiner des miroirs aux alouettes dans l’espoir fou que le vent tournera d’ici la prochaine élection – laquelle pourrait avoir lieu dès le printemps 2012.

Face à la possibilité d’y voir son parti rayé de la carte, ou presque, Pauline Marois, elle aussi, remet à plus tard l’autopsie de ses propres problèmes politiques.

Traduction: les fameux États généraux sur la souveraineté sont repoussés à l’an prochain. Ceux-là mêmes qu’elle promettait cet été. Question d’apaiser la colère de plusieurs indépendantistes, péquistes ou non, contre sa stratégie de «gouvernance souverainiste».

En fait, il se pourrait même qu’ils n’aient jamais lieu…

Acheter du temps? Gérard Deltell, chef du minuscule caucus adéquiste, le fait tout autant. C’est qu’il cherche une manière élégante de faire disparaître l’ADQ pour mieux la faire renaître dans les bras accueillants de François Legault et de Charles Sirois.

Et comment le blâmer de faire les yeux doux à ces deux chouchous des médias et du milieu des affaires dont, par ailleurs, la plupart des idées ressemblent étrangement à celles de l’ADQ?

D’autant plus que depuis plusieurs mois – du moins, selon les sondages -, près de 40% des Québécois seraient prêts à donner le bon Dieu sans confession à François Legault.

Le tout, malgré le fait que cet ex-ministre péquiste, aujourd’hui recouvert d’un faux vernis de nouveauté, est en fait un pur produit de la même élite politique et d’affaires pourtant rejetée par une forte majorité des mêmes électeurs.

Toute une démonstration du vide politique abyssal qui ne cesse de se creuser au Québec. Mais également de l’impact redoutable que semble avoir la visibilité médiatique exceptionnelle dont jouit M. Legault depuis des mois.

Et c’est précisément parce que la création imminente d’un nouveau parti Legault-Sirois menace de front le PLQ et encore plus le PQ que Jean Charest et Pauline Marois achètent désespérément du temps. N’importe comment. N’importe où.

La réalité, par contre, ne pardonne pas.

Pour le PLQ, presque trois ans à refuser la création d’une vraie commission d’enquête publique et indépendante lui rappellent cruellement que tout ce qui traîne se salit.

Quant au Parti québécois, la crise interne provoquée par l’ambiguïté chronique de son option et un leadership incapable de rassembler les troupes lui a carrément scié les jambes.

Au point où il peine à tenir le coup sur respirateur artificiel pendant que François Legault, lui, se présente comme la nouvelle solution de rechange au Parti libéral.

La morale de cette histoire: le temps a beau être une denrée précieuse en politique, il arrive aussi qu’il ne serve qu’à accentuer des tendances déjà lourdes.

Bref, M. Charest et Mme Marois auront beau acheter tout le temps du monde, impossible d’échapper à l’impression que le PLQ et encore plus le PQ vivent surtout sur du temps emprunté.

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Parlant de temps, il aura filé rapidement pour Voir. Déjà 25 ans et le voilà qui ne cesse de rajeunir! Un exploit impensable sans tous ceux et celles qui se sont donnés entièrement, dès sa genèse ou à un moment ou un autre de son existence, à cette belle et folle aventure. Et merci à vous, lecteurs et lectrices, pour votre fidélité!