Voix publique

La grande illusion

Au Québec, la levée de boucliers fut unanime. Comment Stephen Harper avait-il pu nommer des anglos unilingues à la Cour suprême et au poste de vérificateur général?

Mais hors Québec, tout a passé comme une lettre à la poste. La raison? Hormis pour ce qu’il y reste de Franco-Canadiens, la langue – la vraie – celle de la vie, des communications, de la culture, du travail, de l’intégration et de l’éducation, c’est l’anglais. Point.

Cette histoire de bilinguisme officiel est une grande illusion.

Dans le reste du pays, le français y est de plus en plus invisible et inaudible. Le taux de bilinguisme chez les anglophones y est anémique.

Bref, Pierre Trudeau s’est bien moqué des Québécois. En 1969, sa Loi sur les langues officielles leur a fait croire que le français prendrait sa place. Partout au pays.

Or, il n’en fut rien. Son but était purement tactique. Un an après la création du PQ, Trudeau voulait convaincre les Québécois de ne pas virer «séparatistes».

Une belle tromperie! Car cette loi ne visait qu’à fournir des services dans les deux langues au fédéral. Rien n’y encourageait l’usage du français à travers le pays.

Elle se voulait surtout une arme de persuasion massive destinée aux Québécois contre la montée rapide du nationalisme et de l’indépendantisme.

Logique, donc, qu’après 42 ans, deux référendums perdus, un Bloc éclaté, un PQ au bord du précipice et un gouvernement majoritaire sans le Québec, on ne se cache même plus à Ottawa pour montrer que la connaissance du français ne compte plus pour y occuper les plus hautes fonctions.

Afficher «balingue»

Puis, il y a l’autre grande illusion. Celle de la prédominance du français dans l’affichage commercial.

Rappel: en 1993, après plusieurs rebondissements politico-juridiques, le gouvernement Bourassa amende la loi 101 et permet l’affichage bilingue avec prédominance du français. Il ne sera plus obligatoire d’afficher en français seulement.

Or, qui dit «prédominance» dit capacité de la mesurer. Pour ce faire, des règlements sibyllins furent adoptés. Résultat: à Montréal et dans l’Outaouais, l’affichage s’est anglicisé. À nouveau. Et de plus en plus.

Que le français et l’anglais figurent sur une affiche à 50-50%, 60-40% ou 70-30%, le fait est qu’elle est bilingue.

Et donc, avec l’affichage bilingue vient l’acceptation d’une prédominance du français condamnée à n’être qu’un vœu pieux.

Car cette loi kafkaïenne est impossible à faire respecter sans une armée d’inspecteurs équipés de galons à mesurer. D’où le leurre.

On est donc loin d’une loi 101 qui, en 1977, visait à franciser le «paysage québécois». Et pourquoi? Citons l’énoncé politique originel: parce cette dimension «touche chaque citoyen quotidiennement» et «met en cause le visage que le Québec présente à la fois à ceux qui l’habitent et à ceux qui lui rendent visite».

On sait également que le français langue d’accueil et de travail recule aussi dans le secteur privé. Et voilà qu’une étude montre que l’anglais gagne du terrain jusque dans le secteur public. Bien au-delà des services offerts à la minorité anglo-québécoise.

C’était pourtant écrit dans le ciel. Rappel: en 1986, le gouvernement du Québec adopte une approche clientéliste dans les services sociaux et de santé. Les fonctionnaires devront servir en anglais tout citoyen qui le demande. Même francophone ou allophone.

Résultat: l’État s’ajuste à la langue du citoyen-client, et non plus l’inverse. Message envoyé aux nouveaux arrivants: il vous sera facile d’être servis en anglais. Comme au restaurant. Comme au fédéral.

Avec le temps, cette approche a fait tache d’huile dans l’administration publique québécoise en y créant un climat de bilinguisme officieux.

Comme si les gouvernements, libéraux et péquistes, ne comprenaient plus la différence entre le bilinguisme individuel. Souhaitable en soi. Et un bilinguisme institutionnel du seul État francophone du continent. Un bilinguisme dont l’effet pervers est de renforcer la force d’attraction de l’anglais. Et non celle du français.

Morale de cette histoire qui n’en a pas: au Québec, on exige d’être bilingue même pour un boulot au salaire minimum, mais au Canada, l’anglais suffit pour être juge à la Cour suprême, vérificateur général ou journaliste dans un grand quotidien canadien-anglais.

Surpris? Pourtant, c’était écrit dans le ciel.

Et même dans nos lois…