Voix publique

Les beaux parleurs

Le compte à rebours est amorcé. Le parfum d’élections printanières est persistant.

Avec un nouveau joueur caquiste qui cherche à détrôner le PQ comme un des deux partis de «pouvoir» au Québec, la prochaine campagne sera une des plus dures des dernières décennies.

Or, cette grande bataille sera livrée pour le pouvoir. Point. Amateurs de grandes visions inspirantes, s’abstenir.

Les hostilités s’enclencheront le jour de la Saint-Valentin, à l’ouverture d’une session où l’on se lancera tout sauf des mots d’amour. Le nouveau caucus de neuf députés caquistes y verra.

Pour Jean Charest, il n’y a aucun mauvais scénario à l’horizon. Après trois mandats, même une défaite n’aurait rien de déshonorant. À moins, bien sûr, qu’il ne gagne un quatrième mandat. Quitte à ce qu’il soit minoritaire…

En attendant, M. Charest s’est fait tatouer le mot «économie» sur le front. Il portera son Plan Nord sur toutes les tribunes comme un esclave porte son maître. Question de faire oublier que les Québécois en profiteront pas mal moins que les entreprises qui en salivent déjà d’envie.

Pour Pauline Marois, en mode post-Duceppe, l’unité retrouvée in extremis a laissé plusieurs cicatrices ouvertes dans le camp souverainiste. La peau est encore fragile.

La chef péquiste jouera certes la carte de l’intégrité. Mais face au silence des Charest et Legault devant le bulldozer Harper, elle sortira surtout celle de l’identité – le «Nous». Le grand classique de la défense des intérêts du Québec.

La carte de François Legault est aussi un grand classique: le «changement». S’inspirant de la stratégie de Stephen Harper à la dernière élection fédérale, il va même, lui aussi, jusqu’à demander un mandat clairement majoritaire pour faire ce qu’il veut et à son aise.

«On en a assez de la négligence, du copinage et de l’immobilisme», criait-il au premier rallye caquiste à Québec, le bastion de l’ADQ tout juste avalée par sa CAQ.

Or, pour un parti dont les donateurs comptent entre autres 46 membres d’une même firme d’avocats dont le patron est aussi, par hasard, le responsable du financement de la CAQ, le «changement» rappelle plutôt de vieilles méthodes susceptibles de rendre un parti vulnérable aux retours d’ascenseur. M. Legault aura-t-il ses Post-it multicolores? La CAQ serait-elle déjà un «vieux» parti?

Les slogans vont également fuser de toutes parts. Le chef caquiste ouvre le bal: «Jean Charest, c’est un beau parleur, c’est pas un homme de résultats!».

Or, M. Legault ne fait-il pas le beau parleur lui-même lorsqu’il qualifie de changement une CAQ qui, dans les faits, recycle 80% du programme de l’ADQ de même que la fameuse «réingénierie» de l’État promise par Jean Charest en 2003? Quant à Mme Marois, elle n’est pas en reste avec son manque flagrant de clarté sur la souveraineté.

Un appui troublant

La CAQ a reçu l’appui de William Johnson, un activiste anti-loi 101 notoire, «angryphone» légendaire et ex-président d’Alliance Québec dans sa période la plus radicale. Le nationalisme québécois, il le décrit depuis des lustres comme un vulgaire mythe trempé dans l’anglophobie.

Un appui aussi troublant en dit long, très long, sur le sérieux de l’abandon des questions nationale et linguistique par les caquistes.

Cet abandon – parrainé par l’ex-péquiste François Legault -, c’est en fait le prix à payer pour acheter à la CAQ les faveurs du milieu des affaires. C’est le prix à payer pour bien remplir les coffres du nouveau parti et pour y attirer plein de joyeux organisateurs du Parti libéral fédéral.

C’est le prix à payer pour s’attirer les faveurs de Stephen Harper et pour devenir peu à peu la coqueluche des milieux politiques et médiatiques hors Québec.

Pour eux, voir un aspirant premier ministre québécois rejeter et la souveraineté et le fédéralisme renouvelé, c’est un rêve enfin réalisé.

À Toronto, la chose n’est d’ailleurs pas passée inaperçue lors d’un très rare colloque sur le Québec. Réunissant des universitaires, des journalistes et d’ex-politiciens, le caquisme post-nationaliste y fut reçu comme une excellente nouvelle pour le Canada. Enfin, la sainte paix.

Que voilà une belle rencontre d’intérêts. Mais que voilà aussi un rappel éloquent d’un autre beau parleur.

En 2002, de passage également à Toronto, un certain Mario Dumont, alors chef de l’ADQ, était venu annoncer au ROC, lui aussi, la disparition de la question nationale de l’écran radar des Québécois.

La grande différence est qu’aujourd’hui, M. Legault, a de vraies chances de devenir premier ministre. Un jour…