Voix publique

What does Canada want?

Qui aurait pu prédire les effets spectaculaires d’une simple entrevue de Justin Trudeau à la radio? Si le Canada devient celui de Harper, lança-t-il à l’animateur Franco Nuovo, «peut-être que je songerais à faire du Québec un pays»! Et vlan.

Venant d’un Trudeau, la formule étonnait certes, mais elle ne faisait pas pour autant de lui un futur souverainiste! Loin de là! Le cœur de son propos était ailleurs. Il était dans sa critique cinglante du virage à droite du gouvernement Harper depuis sa victoire majoritaire.

Un virage aussi rapide que radical: abandon de Kyoto et du registre des armes d’épaule; patriotisme militariste et monarchiste; projets de loi sur la surveillance des internautes et la «loi et l’ordre»; députés et sénateurs pérorant sur la peine de mort et l’avortement; etc.

Pour plusieurs commentateurs hors Québec, la sortie du fils de Pierre Trudeau était un crime de lèse-Canada impardonnable. Au Québec, elle provoqua plutôt un débat sur le «fossé» grandissant entre le régime Harper et un Québec aux valeurs plus «progressistes».

À la une du Devoir, on pouvait même lire ce titre percutant: «Le Canada: au point de rupture?». La question est posée: Harper sera-t-il au mouvement souverainiste ce que l’échec de Meech en 1990 lui fut cinq ans avant un référendum presque perdu par les fédéralistes?

Finira-t-il, par la négative, à convaincre les Québécois de sortir d’un Canada où le pouvoir glisse également de plus en plus vers l’Ouest – le berceau ultraconservateur du Reform Party et de l’Alliance canadienne où M. Harper a forgé sa «vision».

Le premier ministre ne s’est d’ailleurs jamais caché de son objectif ultime: transformer profondément la culture politique canadienne en lui imposant des valeurs et des lois de plus en plus conservatrices. Majoritaire, il peut procéder.

Trudeau vs Harper

Bref, c’est en fait à la culture politique trudeauiste que Stephen Harper s’attaque. Du moins, au Pierre Trudeau perçu hors Québec comme le grand «protecteur» des droits, des libertés et d’une société juste.

En s’insurgeant contre un Canada qu’il voit devenir «mesquin», «petit d’esprit», «anti-intellectuel» et qui s’ingère «dans les vies privées», c’est maintenant au tour de Justin Trudeau de s’en prendre à la culture harpérienne. C’est donc Trudeau, père et fils, contre Harper.

Ce fossé entre le Québec et Harperland, un conservateur influent de l’époque Mulroney l’a qualifié de «décanadianisation du Québec». Comme une séparation de facto.

Ce fossé n’a pourtant rien de nouveau. Il date d’un bon quarante ans déjà. Ironiquement, le premier à le creuser fut nul autre que Pierre Trudeau lui-même. Il le creusa avec sa Loi sur les mesures de guerre. Avec le rapatriement de la Constitution en 1982 sans le Québec. Et de bien d’autres manières encore.

Stephen Harper accélère certes le processus, mais en tout premier lieu, ce fossé fut l’oeuvre de Pierre Trudeau et de son combat acharné contre le nationalisme québécois sous toutes ses formes. Et ce, par tous les moyens possibles, légitimes ou non.

Avant Trudeau, le Canada se demandait s’il fallait accommoder ou combattre le nationalisme moderne qui émergeait au Québec dans les années soixante. Pierre Trudeau lui enseignerait à le rejeter.

Une exception: Brian Mulroney. Élu en 1984, il faisait au Québec une offre de réconciliation constitutionnelle: l’accord du lac Meech. Question de réparer les pots cassés par Trudeau et le Canada anglais lors du rapatriement de 82.

En 1990, Meech échoua. Pierre Trudeau avait bien sûr fait campagne sur toutes les tribunes pour enjoindre le ROC à refuser la reconnaissance même timide du Québec comme «société distincte». Un échec qui marquera les Québécois pour longtemps.

Bref, si le Québec se «décanadianise», c’est aussi parce que le Canada se «déquébécise» depuis plusieurs décennies. Une relation d’évitement mutuel s’est développée. Comme un tango, mais sans danseurs.

Le Canada a oublié son «What does Québec want?». Ça ne l’intéresse plus. Aujourd’hui, ce serait plutôt aux Québécois à se demander «What does Canada want?» ou s’ils veulent vraiment continuer à faire semblant de ne pas voir qu’ils sont dans un pays dont la construction se fait de plus en plus sans eux.

Or, pour même poser la question, il faudrait tout au moins que le PQ s’engage fermement, pour reprendre l’expression de Justin Trudeau, à «faire du Québec un pays». S’il prend le pouvoir, bien sûr.

Ce qui, pour le moment, n’est toujours pas le cas.