Voix publique

L’exercice du pouvoir

«Le peuple a toujours droit à la méfiance puisqu’il n’a pas le pouvoir.»

– Extrait du film L’exercice de l’État

Les temps sont durs pour les politiciens, mais ils le sont encore plus pour le politique. On dit des citoyens qu’ils sont irrévocablement cyniques. Et si c’était plutôt les gouvernants, hormis des cas d’exception, qui l’étaient devenus?

Voilà. La question est posée.

D’une certaine manière, c’est aussi la question que pose L’exercice de l’État – le film percutant de Pierre Schoeller (*). L’histoire d’un ministre des Transports prêt à tout pour ses ambitions et d’un gouvernement prêt à tout pour se faire réélire.

Cette question, il la pose à un pouvoir politique de plus en plus affaibli par la puissance de la grande entreprise. La prémisse du film: un gouvernement prépare en catimini la privatisation des gares de France, qu’il fera passer pour une «réforme» essentielle. Une fois, bien sûr, qu’il l’aura «vendue» à une opinion publique conditionnée par les sondages et les médias.

D’où cette réplique cinglante d’un personnage sur le recul du politique: «Mais c’est quoi, du pouvoir sans la puissance d’agir? Qu’est-ce que ça crée comme légitimité?» Ou encore celle-là: «Vous êtes en train de tout foirer! C’est quoi, cette maladie de vouloir privatiser à tout va? (…) C’est quoi, le deal?»

Même ici, les exemples abondent. Un Plan Nord aux airs de grande braderie. L’ouverture continue par le gouvernement d’un marché pour les soins de santé privés. Les milliards qui pleuvent, sous tous les régimes, sur une industrie de la construction où se mêlent corruption, collusion, crime organisé et financement des partis.

On augmente les droits de scolarité pour tirer des étudiants ce qui reviendra à 190 millions de dollars, mais on met 240 millions sur des tableaux dits intelligents et dont l’achat profite en bonne partie à un entrepreneur membre de la grande famille libérale.

Quant aux ministres, s’ils ne deviennent pas riches en politique, que dire de ceux qui passent à la caisse dès leur sortie en se mettant au service d’une industrie? Que dire d’un ancien premier ministre devenu lobbyiste en chef pour l’industrie du gaz de schiste?

Que dire de certains premiers ministres, péquistes et libéraux, qui, en poste, dînent privément avec les financiers les plus influents tout en jurant que ça fait partie de leur travail ou que c’est pour «faire du social»?

Le film L’exercice de l’État montre d’autres mécanismes d’affaiblissement du politique. Les «convictions» modulées selon le dernier sondage. L’effet «bulle» qu’est l’influence démesurée de conseillers auprès d’élus plus faibles. L’obsession de l’image et de la couverture médiatique. Des ministres interchangeables et des remaniements qui ne changent rien.

Il y a le conditionnement d’une opinion publique qu’on méprise souvent dans les faits. Des luttes de pouvoir interpersonnelles féroces. La sous-traitance au privé de services publics qu’on fait passer pour de simples réformes. Des gouvernements misant tout sur leur réélection. (Il n’y manquait que quelques robots téléphoniques pour empêcher des citoyens de voter pour les adversaires…)

Par ailleurs, dans le film, le président dit crûment à son ministre: «Tu n’es pas là pour refaire le monde. Tu es là pour reprendre les 5 points de sondage qu’on va perdre. (…) Ton obsession, ce sera désamorcer, désamorcer.»

Bref, de compromis en compromissions, un personnage laisse tomber: «Mon cher, la politique est une meurtrissure permanente.» Alors, qui des citoyens ou des gouvernants sont devenus les plus cyniques?

Lorsqu’au Québec, une ministre responsable des aînés dit, sans rire, que leur sort lui fait perdre le sommeil, qui se moque de qui? On croirait presque entendre cette autre réplique du film: «Les rois avaient aussi leur bouffon, mais le bouffon du roi ne rentrait pas dans la cathédrale. Aujourd’hui, les bouffons occupent la cathédrale.»

Mais ce n’est qu’un film, n’est-ce pas? Et les gouvernants ne sont pas tous de cette eau. C’est vrai. Ce film braque pourtant les projecteurs sur des questions de fond. Que devient le politique face à la puissance financière? Au pouvoir, que deviennent les élus? Y sont-ils pour le bien commun ou autre chose?

La situation est certes complexe. Il est évident qu’une courte chronique ne saurait lui rendre totalement justice. Or, une chose est sûre: moins les citoyens votent, moins ils s’expriment entre les élections, plus le politique s’affaiblit et plus il répond à des intérêts autres que ceux de la population.

À l’opposé, plus les citoyens s’en mêlent, plus ils récupèrent une partie de leur propre pouvoir. N’est-il pas là, le véritable exercice du pouvoir?

(*) Ce film ne serait pas encore disponible ici en DVD.