Cinéma

Festival du film juif : Mémoires collectives

De retour après une année d’absence, le Festival du film juif de Montréal entame sa quatrième édition. Trente-deux films et vidéos provenant de neuf pays ont été choisis pour faire état de l’expérience juive internationale à l’heure d’aujourd’hui. Avec un oil contemporain, on observe sous différentes facettes l’engagement politique, l’identification linguistique, les aspirations religieuses, et les débats sociologiques de tout un peuple. Et c’est bien le regard actuel qui est le plus fascinant: maintenant, que choisit-on de mettre en relief? De quoi est-on capable de se moquer? Quelle est la force du souvenir? Si le plaisir de ce genre de festival est parfois celui du cinéma, il réside surtout dans la découverte, dans l’apprentissage, dans la connaissance d’un ailleurs et d’un autre. Comme Vues d’Afrique, il remplit un peu le puits sans fond de l’ignorance.

Un bon exemple: The Harmonists, film d’ouverture, du cinéaste allemand Joseph Vilsmaier, qui est loin d’être une ouvre renversante (sortie en salle le 7 mai). Mais l’aventure humaine qu’il décrit est hors du commun. Le film retrace la vie et la mort du sextette berlinois The Comedian Harmonists. Créé en 1927, ce groupe a cappella, qui chantait autant du Duke Ellington que des airs d’opéra, connut un succès phénoménal en Europe et en Amérique. Les choses se gâtèrent quand Hitler et sa troupe décidèrent qu’ils ne chanteraient plus que du folklore allemand, et que le groupe devait se débarrasser de trois membres non aryens. Rester en Amérique, se convertir, fuir, dénoncer, céder: le film aborde tous les choix majeurs de ceux qui ont eu la malchance de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment. De The Harmonists, il reste peu: de bons acteurs dans une reconstitution pas toujours heureuse, quelques scènes émouvantes sur l’amitié et des refrains swinguants.
Plus intéressant est Florentene. Réalisée par Eytan Fox, un jeune Israélien de 34 ans, cette mini-série en hébreu, sous-titrée en anglais, a eu un énorme succès en Israël. Comme les sitcoms américains Friends ou Melrose Place, on y parle des tourments de beaux jeunes gens de la génération X. Dans un quartier branché de Tel-Aviv, on s’aime, on s’engueule, on se déchire comme partout. Mais ces petits mélos d’une demi-heure, toniques et fort bien écrits, ne font aucun drame avec la nudité, l’homosexualité, et de sérieuses engueulades dans les couples (on se lance des pots de fleurs à la gueule!): autant de détails qui chiffonneraient certainement la rectitude américaine.

Dans la même veine, et de la même génération, le premier film de Dan Katzir, Out for Love… Be Back Shortly, est une incursion dans l’Israël qu’on ne voit pas au journal télévisé. Katzir vient de sortir de l’armée, il prend une caméra vidéo et cherche l’âme sour. Il rencontre Iris, qui commence son service militaire. Katzir filme l’idylle à la première personne avec délicatesse, et il a l’intelligence d’entrecouper la romance de plans dignes d’un grand reporter. Avec pudeur, il a illustré l’importance du groupe dominant la vie des individus (le sacro-saint engagement dans l’armée israélienne), précepte qui s’accorde mal avec la nécessité de construire un bonheur à soi.

Le Festival propose aussi deux versions d’un classique du théâtre yiddish, Der Dibek et Le Dybbuk; il retrace l’historique de l’antisémitisme avec un film canadien sur la figure de Shylock; et il amuse avec Bubbeh Lee & Me, une comédie sur une grand-mère juive et son petit-fils, cinéaste gai. On retrouve les tourments d’Antoine De Caunes dans L’homme est une femme comme les autres, et on découvre la vie incroyable du photographe Evgueni Khaldei, à qui l’on doit, entre autres, le drapeau communiste dressé lors de la chute du Reichstag.

Et puis, évidemment, il y a des films sur le souvenir, dont Kinderland Cinderland, de Sibylle Tiedemann et Ute Badura. Douze septuagénaires, dont quatre juives, se remémorent leurs années d’adolescence dans la ville d’Ulm, juste après la prise du pouvoir par Hitler. Une heure et demie avec une caméra plantée sur le visage de gentilles mamies, le tout entrecoupé de films d’époque, ce n’est pas aussi long que l’on imagine. Mais les bouts d’époque sont de trop, y compris les flonflons de circonstance, car toute l’Histoire se lit dans les paroles, souvenirs et silences de ces vieilles dames. Il y a les Allemandes souriantes qui parlent des uniformes des Jeunesses hitlériennes et de la beauté des chants patriotiques qui passaient sous leurs balcons. Et il y a les juives, plus tendues, qui parlent de descente aux enfers, d’exclusion, d’uniformes qu’on devait porter et de chants que l’on devait chanter pour passer dans les mailles du filet. Le rythme est monotone, mais il est bien choisi. Parfois, plus le documentaire est plat, plus l’Histoire prend des reliefs hideux.

Du 6 au 13 mai
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