Love Is the Devil : Tableaux vivants
Cinéma

Love Is the Devil : Tableaux vivants

Au cinéma, le portrait d’artiste est un genre casse-gueule, qui comporte des pièges particulièrement difficiles à éviter: d’abord, celui de simplifier à l’extrême l’inspiration artistique, par définition presque impossible à filmer; ensuite, celui de réduire une ouvre en tentant de lui donner un sens, qui limite forcément sa portée; ou (ce qui est encore pire) de «l’expliquer» en lui attribuant des «causes» (psychologiques ou autres) aussi discutables que réductrices; ou encore, le risque de singer le style de l’artiste en faisant son portrait avec les moyens d’une autre forme d’art, tout en réduisant de façon absurde sa vie aux exigences (temporelles et dramatiques) qu’impose le cinéma.

Love Is the Devil, un long métrage de fiction sur la vie du peintre Francis Bacon, ne parvient pas à éviter tous ces pièges, mais réussit généralement à les contourner de manière originale et intéressante. Premier long métrage de John Maybury (un peintre et cinéaste expérimental de 40 ans, qui fut costumier, monteur et assistant de Derek Jarman), Love Is the Devil explore la vie et l’ouvre de Francis Bacon (Derek Jacobi, impressionnant) à travers sa relation avec George Dyer (Daniel Craig), un cambrioleur qu’il surprit un soir, dans son studio, et qui devint son amant et son modèle, de 1964 à 1971…

Construit de façon assez classique en flash-back autour d’un événement marquant (l’ouverture de l’exposition Bacon, en 1971, au Grand Palais, à Paris), le film offre (avec justesse, mais sans surprise) à peu près ce que l’on attend de lui: l’illustration franche, mais subtile, de la passion sadomasochiste entre les deux hommes; l’évocation mortifère du cercle de poivrots, de tapins et de pique-assiette qu’ils fréquentaient; le portrait d’un artiste dont on ne sait plus s’il est monstrueux parce que génial, ou s’il est génial parce que monstrueux… En tout cela, le film est honnête, mais prévisible. Là où il surprend et captive vraiment, en revanche, c’est au niveau de sa mise en images.

Affrontant un obstacle majeur (le fait que la galerie Marlborough – qui possède les droits des ouvres du peintre – ait refusé de participer à l’entreprise), Maybury a tenté de recréer implicitement le style de Bacon dans son film. Et même si ses tentatives (parfois maladroites) étaient probablement condamnées à l’échec, elles donnent à son film une facture originale et singulière: les décors (quotidiens, mais d’un minimalisme théâtral) sont discrets, mais mémorables; la composition audacieuse des plans (insolite, mais généralement appropriée) est souvent frappante; et les couleurs (tirées de la palette du peintre) créent une ambiance simultanément éclatée et étouffante. Ajoutez la lumière superbe de John Mathieson, et la musique enveloppante de Ryuichi Sakamoto, et vous avez un film dont la facture vaut presque à elle seule le déplacement.

Malheureusement réducteur et forcément simpliste, Love Is the Devil se heurte à presque tous les écueils de ce genre de film. Il affronte toutefois ces problèmes avec des images inusitées, mémorables et audacieuses, qui – à défaut de «cerner» Bacon – nous donnent férocement envie de redécouvrir son ouvre.

Dès le 28 mai
Voir calendrier
Cinéma exclusivités