Cinéma

Lucky People Center International : Double sens

Sous la bannière Lucky People Center International, se cachent deux Suédois, Johan Söderberg et Erik Pauser, créateurs en multimédia de Stockholm qui manient les images, les sons et les idées avec une dextérité que pourraient leur envier bien des cinéastes, des musiciens et des philosophes. Lucky People Center International, c’est aussi le titre de leur plus récente production, 81 minutes durant lesquelles les sens de la vue et l’ouïe se marient harmonieusement au sens des choses, pour un film qui se veut «un documentaire musical» sur la recherche spirituelle à travers le monde.

Au fil des ans, Söderberg et Pauser ont ratissé large pour composer leur patchwork techno-spirituel: du jovial lama tibétain Sogyal Rinpoche à l’orgasmique apôtre de l’énergie sexuelle Annie Sprinkle; de Djossou Hounsikpê Edwige, prêtresse vaudou africaine, à Cashus D, rasta philosophe qui «rappe» sa révolte; de Franklin Bearchild Eriacho, un shaman du Nouveau-Mexique plein de «gros bon sens» à Toshiji Mikawa, un banquier japonais qui se défoule en faisant du noise; de Te Waka Huia, un guerrier maori tatoué qui psalmodie contre les cartes de crédit à Baba Ghi, un ermite bouddhiste dont les contorsions égalent celles des fillettes chinoises du Cirque du Soleil. Tout ce beau monde dit, chante, danse, et crie son état de primate pensant, plus une douzaine de musiciens, religieux, moines et activistes des quatre coins du globe.

Signant conjointement la réalisation et le montage, les deux énergumènes du «centre international des gens chanceux» ont réussi à atteindre un remarquable équilibre entre les sensations et la réflexion. Ce qui se dit dans leur film n’est pas nouveau: nos sociétés doivent revenir à des valeurs de base; l’avenir est dans le respect de la nature, l’acceptation de la mort, et dans un perpétuel questionnement; le salut du genre humain est dans le «retour aux racines», traduction littérale du «back to the roots» qui imprègne la culture rave, bien loin du passéisme folklorique qui marqua le Québec des années 70 – jupes en macramé et Cie.

Si le propos est loin d’être révolutionnaire, la forme, elle, est remarquable de maîtrise et d’inventivité. Poussant à son extrême l’utilisation du montage, Söderberg et Pauser font jaillir du sens (et des sensations) de la juxtaposition, de la répétition et de l’opposition des images, et les remixent comme le ferait un D.J. Ça donne une facture musicale, une couleur, un rythme qu’on n’a pas souvent l’occasion de voir, sinon dans quelques vidéoclips. Pourtant, Lucky People Center International n’est pas un clip de 81 minutes: c’est le fond qui est servi par la forme et non pas le contraire.

«Nous sommes des singes dansants», dit Skander Chand, un homme qui, en pleine jungle, étudie les chants que s’échangent les gibbons chaque matin: expérience sonore et visuelle inédite et réflexion ludique, Lucky People Center International est la preuve vivante qu’on peut penser et danser en même temps.

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