Elvis Gratton II: Miracle à Memphis : La maudite machine
Cinéma

Elvis Gratton II: Miracle à Memphis : La maudite machine

Voulant jouer sur tous les tableaux, PIERRE FALARDEAU, le king du paradoxe, signe une comédie réchauffée qui se veut un «documentaire sur l’absurde et la manipulation». Quand un cinéaste doué perd son temps, et se fait prendre à son propre jeu…

Cette année, nous attendions trois choses au cinéma: la tête de Yoda plus jeune, la lubricité selon Kubrick, et le bedon de Bob Gratton. C’est dire si Pierre Falardeau avait de la pression… Près de 15 ans après les trois courts métrages réunis en un film culte, Falardeau a donc ressuscité Elvis. Après un passage éclair au royaume des morts, le garagiste ignare avait déjà amorcé son ascension dans le film originel. Plus stupide que jamais, Bob est maintenant devenu une énigme pour la science, et un asticot géant pour les pêcheurs de billets. Il amorce donc sa carrière de superstar en sortant de l’hôpital, avec le moral remonté par les soins de son beau-frère Méo.

À peine le film commencé, et la salle est déjà pliée en deux. On était impatient de revoir Bob (Julien Poulin), ses dents, ses mimiques et ses bagues; on avait envie de l’entendre sacrer de façon décapante à propos de tout et de rien; et on avait hâte de revoir Méo (Yves Trudel), avec tuque, cigare machouillé et borborygmes. L’entrée en matière annonce une bonne dose de vitriol, alors que Jean Chrétien, Bill Clinton et Boris Eltsine sont écorchés par un joyeux montage. Mais rapidement, Gratton se fait happer par un surnommé D-Bill (Barry Blake), caricature du gérant d’artistes.

S’ensuit une série de gags rarement drôles, et souvent débiles, qui vient étoffer une seule idée: le marketing ou le cycle sans fin de l’arnaque. On voulait encore du Elvis Gratton, Falardeau nous sert donc du réchauffé.

À quoi d’autre pouvions-nous nous attendre? Falardeau avait prévenu: «Vous en voulez du n’importe quoi? On va vous en vendre du n’importe quoi», écrit-il dans le dossier de presse. Talonné par le producteur Christian Larouche, poussé par la mise en place d’un véritable culte, il pouvait difficilement faire autrement. Les deux compères ont donc pris la bête par les cornes (ou par les gosses, pour rester dans le ton du film), et ont livré ce qu’on leur réclamait à grands cris, décidant qu’il ne serait pas mauvais d’enfoncer le clou une seconde fois. Le cinéaste avait pourtant d’autres chats à fouetter, et il a brillamment occupé ses années «inter-Elvis» avec Le Party, Le Steak, Le Temps des bouffons, Octobre, deux livres de textes vitrioliques, et un bras de fer avec Téléfilm, pour Les Patriotes. Mais il a cédé à la demande générale, parvenant à convaincre Julien Poulin de remettre son costume, et de laisser à la postérité sa tête comme symbole de con fini.

Pour ceux et celles qui n’auraient pas saisi, Gratton est donc un épais imbuvable, un prototype du Québécois bête et aliéné. Si vous n’avez pas encore tout à fait compris, si vous pensez qu’Elvis Gratton II, c’est du vent comme Les Boys, le tandem Falardeau-Poulin se retrouve en fin de film, dans la salle de montage, à disserter sur une issue valable et cohérente, commentant un tableau de Goya, et discutant de la bêtise humaine, devant l’affiche du Dictateur… Mais, cette fenêtre sur le réel, qui appuie la thèse du «documentaire sur l’absurde et la manipulation», est plus lourde et malhabile qu’éclairante. On ne rit plus du tout.

Mais riait-on avant? Bof. Avec morgue, Falardeau a décidé de ne pas se creuser la cervelle pour nous vendre sa soupe. On rit vraiment, cependant, quand une limo se met à parler ou quand Bob essaye un nouveau look, mais on attend la fin du sermon avec hâte. Pas une once d’imagination, les mêmes phrases clés, pas d’idées nouvelles, et à peine plus de substance. Et, le pire, c’est que la logique de Falardeau est imparable. Vous voulez un film taillé à la hache? En voici une tranche de plus. Vous voulez vous reprendre un seau de bêtises dans le visage? En voilà une giclée. Le King des Kings était une splendeur de composition, un reflet juste et cynique; Bob Gratton Bis est un tas d’amertume, trop gonflé pour une caricature, qui n’imite plus personne en voulant ressembler à tout le monde. Le premier film était une gifle, celui-ci est un crachat. Le tout dans la gueule… À la réflexion, «qui aime bien, châtie bien» n’est vraiment qu’un slogan pour sadomaso.

Vous êtes donc face un choix épineux: payer quelques dollars qui iront remplir les poches d’un réalisateur autrement plus doué, et qui l’a souvent prouvé. Ou ne pas payer, et passer à côté d’un cas de figure trop rare au Québec: les élucubrations d’un fouteur de merde, intellectuel fort en gueule, et clown populiste qui s’amuse de nos travers. Bref, la chose s’appelle Miracle à Memphis. La vie est courte, et le billet de cinéma n’est pas encore déductible d’impôt…

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