Johnnie To à Fantasia 99 : La belle équipe
Cinéma

Johnnie To à Fantasia 99 : La belle équipe

Réalisateur et fondateur de la compagnie de production MilkyWay Image, JOHNNIE TO est l’une des figures de proue du nouveau cinéma de Hong Kong. Un cinéaste lucide et combatif, qui travaille toujours en groupe, et auquel le quatrième festival Fantasia rend hommage.

En trois brèves années, Fantasia est devenu un événement incontournable du paysage cinématographique québécois: une fête qui permet non seulement de faire le point sur l’année du cinéma fantastique, de découvrir des auteurs et de voir se dessiner des tendances, mais aussi de rencontrer (dans un rituel qui tient à la fois de la grand-messe et du défoulement collectif) les ennemis de Santos et les cousins d’Ultraman, entre deux séries B américaines et trois trouvailles asiatiques.

La montée récente et continue de plusieurs figures des cinémas d’Asie (représentés par des artistes aussi divers que John Woo et Hou Hsiao-Hsien, Wong Kar-Wai et Tsai Ming-Liang) souligne bien la place prépondérante et cruciale qu’est en train de prendre ce cinéma. Elle contribue aussi à faire de Fantasia 99 un baromètre indispensable pour suivre l’évolution d’une grande partie de ses artisans et cinéastes.

Cette quatrième édition réservera, comme d’habitude, une place importante au cinéma de Hong Kong avec, entre autres, un hommage consacré à une de ses figures les plus dynamiques, le réalisateur et producteur Johnnie To, qui est, de l’avis de Julien Fonfrède, programmateur à Fantasia et auteur de Cinéma de Hong Kong (Éd. de l’île de la tortue), «un des cinéastes les plus intéressants et les plus respectés du cinéma de Hong Kong, un réalisateur dont les préoccupations sociales, la noirceur et le cynisme sont parfaitement en accord avec sa ville et son époque».

Les habitués de Fantasia se souviendront sans doute de Johnnie To pour son implication dans des films comme The Odd One Dies, The Longest Nite, et Too Many Ways to Be Number One, auxquels cet hommage permettra d’ajouter Expect The Unexpected (un polar urbain original, brillant et bourré de surprises, en forme de gigantesque jeu du chat et de la souris); A Hero Never Dies (un film noir surréaliste et étrangement poétique, relatant les prodiges que feront deux tueurs à gages – dont un invalide! – pour se venger des employeurs qui les ont trahis); Where a Good Man Goes (une fable humaniste, naïve et allégorique, sur un criminel des triades qui se cherche une famille dans un Macao à la veille de la rétrocession); et Lifeline (une sorte de Backdraft fauché, et sans trucages, dont la seconde moitié se déroule entièrement dans les flammes!).

Monnaie d’échange
Ces films, réalisés ou produits par Johnnie To, témoignent bien du dynamisme de ce cinéaste de 44 ans, qui a déjà signé près de 30 films, qui a fondé (avec le prodigieux Wai Ka-Fai) MilkyWay Image, l’une des maisons de production les plus dynamiques de Hong Kong, et qui terminait la réalisation d’un projet (tout en en produisant un autre) au moment où nous lui avons faxé nos questions à Hong Kong. «Le truc, explique-t-il avec une modestie qui ne perd rien dans la traduction du cantonais au français, c’est tout simplement de se tenir occupé…»

De fait, Johnnie To est un véritable Terminator de la caméra, qui ne s’est jamais arrêté malgré un début en forme de faux départ. «Je n’oublierai jamais le premier film que j’ai tourné. C’était en 1979: j’avais déjà réalisé des téléséries, et j’avais toujours rêvé de faire des films. Mais je me suis vite rendu compte que je manquais de talent et d’expérience, et qu’il me restait beaucoup de choses à apprendre. Alors, je suis retourné travailler comme producteur à la télévision, où j’ai attendu six ou sept ans avant de m’attaquer à mon deuxième film. Je n’ai pas arrêté depuis.»

La carrière de Johnnie To est d’autant plus intéressante qu’elle a prospéré malgré les problèmes qu’a connus (et que continue de vivre) le cinéma de Hong Kong. «Depuis dix ans, les films n’ont malheureusement été faits qu’en fonction du business. En 93 et 94, beaucoup de pays qui avaient l’habitude d’investir dans les films de Hong Kong se sont mis à réaliser qu’ils ne faisaient plus d’argent, et leur retrait a compliqué un peu plus nos problèmes de production, ce qui a, en retour, aggravé la situation.» Ajoutez la frénésie des producteurs tentant de faire le plus d’argent possible avant la rétrocession de Hong Kong à la Chine, en 1997; le fait que la production hong-kongaise (qui triomphait jusque-là au box-office local) n’a cessé de perdre du terrain depuis le succès phénoménal (et sans précédent, là-bas) de Jurassic Park, en 1993; et le vide laissé par le départ de plusieurs stars locales (parties poursuivre des carrières américaines), pendant que le krach boursier terrassait l’Asie en 1997.
Ces événements, qui en découragèrent beaucoup d’autres, allaient au contraire inspirer Johnnie To, qui en a profité pour fonder MilkyWay Image, et pour faire du désillusionnement, de la mort (et de la résurrection) des héros, et de la critique sociale des éléments essentiels de son cinéma. «La culture cinématographique et l’histoire sont des choses très importantes pour moi. Les films sont faits pour durer, et je crois qu’ils doivent dire quelque chose de leur époque s’ils veulent parler aux gens qui les verront un jour. Le cinéma change comme l’humanité change. Et la façon de raconter des histoires change à chaque époque, car il y a toujours de nouvelles manières de les raconter.»

MilkyWay Image n’a d’ailleurs pas que des nouvelles manières de les raconter, puisqu’elle les développe aussi selon une méthode assez inédite: les scénarios sont conçus en comité et signés par le MilkyWay Group; les idées, les histoires et les personnages semblent parfois circuler d’un film à l’autre; et les réalisateurs et producteurs se passent la caméra sans qu’on ne sache trop qui a fait quoi. Cette façon de faire, courante dans le cinéma hong-kongais, MilkyWay l’a toutefois revendiquée fièrement et érigée en système. «En termes de répartition du travail, je dirais que Wai est plus responsable de la supervision du processus créatif, alors que je m’occupe davantage des questions liées à la production. Mais tout le monde à MilkyWay Image a son mot à dire sur le produit final. Chaque film représente le travail du groupe et non seulement celui du réalisateur. MilkyWay est une équipe créative et une entité représentative. Et les films qui en sortiront dépendront vraiment de l’évolution du groupe.»

Comment ce cinéaste à la croisée des chemins (influencé par Martin Scorsese, et des orientaux comme Ah Tsai-Ming) voit-il l’avenir du septième art à l’heure où tout le monde semble le chercher en Asie? «Les Occidentaux aiment l’esthétique, l’originalité, l’efficacité et l’économie de nos films. Mais le système à Hong Kong est très différent, et chaque système a du pour et du contre. Pour l’heure, Hollywood cherche un nouveau souffle chez les réalisateurs de Honk Kong, mais je pense que ce n’est qu’une question de mode.»

En fait, Johnnie To semble envisager l’avenir comme un des justiciers qui peuplent ses films: avec un mélange de cynisme et de naïveté, de résignation et de combativité. «J’ai de grands espoirs pour le cinéma de Hong Kong, un cinéma qui a une longue histoire, et qui est unique en Asie. La Chine devrait ouvrir son marché prochainement – un marché d’un milliard deux cents millions de personnes! Nous sommes donc dans une période de transition. De plus, la compétition avec la télé est devenue extrêmement féroce. Nous sommes comme des frères ennemis, engagés dans une lutte à finir. Mais le vrai héros restera toujours le cinéma, parce qu’il tente de créer quelque chose de spécial. Il n’y a pas de limites à ce que vous voulez ou à ce que vous pouvez faire. Et tant que le public sera là, nous continuerons à à tourner des films.»

Du 23 juillet au 15 août
À l’Impérial et à Ex-Centris
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