Joan of Arc : Au bûcher!
Cinéma

Joan of Arc : Au bûcher!

De Péguy à Brecht, en passant par Claudel, Bernanos et Shaw, la littérature et le théâtre ont consacré des pages superbes à la pucelle d’Orléans. Au cinéma, Méliès, Dreyer, De Mille, Bresson, Preminger, Rossellini, Rivette (pour ne citer que les plus connus) se sont frottés au mythe de la bergère de Domrémy, qui aura eu, entre autres, les traits de Falconetti, de Michèle Morgan, de Jean Seberg, d’Ingrid Bergman et de Sandrine Bonnaire. Pourquoi Jeanne d’Arc fascine-t-elle toujours autant les créateurs du XXe siècle que sont les cinéastes – hormis le fait qu’elle ait été canonisée bien après la naissance du cinéma, soit en 1920? Sur un plan trivial, parce qu’elle symbolise l’exaltation, la révolte et l’absolu de l’adolescence, au même titre qu’un Rimbaud ou une Anne Frank, ces «professionnels de la jeunesse», pour reprendre une expression de Charles Péguy. Sur un plan plus profond, parce que la destinée exemplaire de cette jeune fille est encore nimbée, plus de cinq siècles après sa mort, d’un mystère à tout jamais irrésolu, donc ouvert à toutes les interprétations.

On peut facilement diviser en deux camps les réalisateurs qui ont proposé leurs visions de Jeanne: les hommes de spectacle, qui ont illustré l’histoire avec plus ou moins de grandiloquence (Méliès, De Mille et Preminger); et les mystiques, cinéastes de l’ascétisme, en quête d’une vérité intérieure (Dreyer, Bresson et Rivette). A priori, Luc Besson ferait partie de la première catégorie, et s’il s’en était tenu à l’aspect batailles sanglantes, couronnement royal et bûcher incandescent, on s’en serait tiré avec une bande dessinée historique, genre dans lequel le réalisateur du Cinquième Élément aurait excellé.

Alors pourquoi ce (très surestimé) surdoué de l’image s’est-il mis en tête de réinventer l’Histoire, de moderniser Jeanne l’inaltérable, et de passer ce mythe millénaire à la moulinette d’une psycho-pop indigeste? En effet, on apprend, dans The Messenger: The Story of Joan of Arc, que la sainte guerrière ne serait pas partie en croisade contre les Anglais uniquement guidée par la voix de Dieu, mais aussi pour venger la mort de sa soeur, violée par des soldats britanniques. Dommage que les groupes de soutien n’aient pas existé à l’époque… Sans parler de cette scène ahurissante dans laquelle un juge ecclésiastique demande à la pucelle si elle prenait plaisir à brandir une énorme épée: c’est tonton Sigmund qui aurait été content!

La vulgarisation et la modernisation ont leurs mérites (voir le Roméo et Juliette avec Leonardo di Caprio) mais la façon Besson consiste à réduire un mythe à la dimension d’une nymphette hystérique et «nouvelâgeuse» («La guerre, c’est pas beau»); à filmer l’enfance de Jeanne comme une pub de shampoing (un champ de lavande en Lorraine: c’est nouveau, ça!); à bâcler les scènes de bataille et à étirer la sauce (la prise d’Orléans prend 45 des interminables 150 minutes du film); à écrire des dialogues sortis tout droit d’une sitcom télé («Don’t touch this, it’s my baby!»); à tartiner le tout de l’insupportable musique d’Éric Serra; et à gaspiller le talent de comédiens comme John Malkovich (délicieusement cabotin), Faye Dunaway (déguisée en Virna Lisi dans La Reine Margot) et Dustin Hoffman (avec une voix déformée: normal, il joue la Conscience de Jeanne!). Sans parler de Tcheky Karyo, Vincent Cassel et Pascal Greggory qui ont l’air de s’amuser comme des petits fous en faisant n’importe quoi. Quant à Milla Jojovich, sa Jeanne d’Arc passera à l’histoire comme étant la plus totalement vide des incarnations du personnage. Le film étant entièrement centré sur elle, c’est un peu gênant…

Aucune vie, aucun souffle, aucune vision dans ce film monté n’importe comment: mieux vaut rire que pleurer devant ce fiasco total. Besson, cinéaste comique? Pourquoi pas.

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