Patrice Leconte-La Fille sur le pont : Le parfum du hasard
Cinéma

Patrice Leconte-La Fille sur le pont : Le parfum du hasard

Avec La Fille sur le pont, PATRICE LECONTE est parti en quête d’absolu. Rencontre avec un cinéaste sensible et passionné mais qui, cette fois-ci, a raté sa cible…

Comme un enfant, Patrice Leconte a décidé que son verbe préféré serait «faire» – et «réfléchir», pour les jours où il s’arrête. Mais il ne s’arrête pas souvent. Au Québec, pour présenter La Fille sur le pont, le cinéaste a la réflexion si courtoise et passionnée qu’on l’imagine sur un tournage comme un homme pressé qui ne désire que l’harmonie! Tout doit aller vite, mais bien. Sans cesse reviennent les mots «plaisir, liberté, désir, envie de…, sentiments». «Morosité, message social et réalisme» ne font pas partie du vocabulaire Leconte. Les Bronzés, Les Spécialistes, Tandem, Monsieur Hire, Le Mari de la coiffeuse, Ridicule: aucune ligne directrice dans cette suite de succès, sinon l’envie d’essayer ce qu’on ne connaît pas.

Pour l’étincelle de départ de La Fille sur le pont, Patrice Leconte hésite. «Chaque fois qu’un film est terminé, je n’arrive pas à retrouver où tout a commencé. Je ne travaille pas en fonction d’un sujet, mais à partir de personnages, de situations, d’émotions. Serge Frydman (le scénariste) et moi avons beaucoup parlé, sans prendre une seule note, mais il y avait des mots qui revenaient tout le temps: "chance, hasard, music-hall". On a rédigé les 30 premières pages du scénario, qu’on a fait lire aux comédiens et aux producteurs en leur disant: "Si ça vous plaît: payez-nous!"» Le producteur Christian Fechner a accepté d’emblée; Daniel Auteuil a repris à la volée un rôle prévu pour Jean-Pierre Marielle; et Vanessa Paradis a endossé le rôle d’Adèle, écrit pour elle, et approuvé avant même de tourner Une chance sur deux. Quand le scénariste et le réalisateur étaient en panne, ils n’avaient qu’à regarder la photo de Vanessa épinglée au mur, et l’imagination repartait de plus belle! Ils ont été inspirés: l’ex-Lolita torturée traverse le film avec une aisance gracieuse. Mutine ou grave, on sent que Miss Paradis commence vraiment à jouer.

Il le fallait pour enfiler le manteau d’Adèle qui, un soir de grande déprime, préfère un lanceur de couteaux en quête de cibles aux eaux noires de la Seine! Adèle n’a jamais eu de chance, Gabor (Auteuil) n’a jamais eu de muse. En 90 minutes, ils vont se suivre, se perdre et s’aimer sans se l’avouer. On va tirer la corde du désir jusqu’à ce que l’élastique claque, en changeant les décors pour ne pas lasser, du Grand Hôtel de Monte-Carlo aux souks d’Istanbul, en passant par une croisière méditerranéenne. «Ce qui me plaît par-dessus tout, c’est de raconter une histoire mythique, avoue avec délice ce réalisateur fou de romanesque, celui des Duvivier, Carné, Grémillon, etc. Ce qui me séduisait tellement, c’était que ces deux-là tombent amoureux l’un de l’autre sans le savoir, et que tout soit retenu pour faire monter le plaisir. Ça m’éclate! Mais, attention: ils se disent "vous" tout le temps!»

L’amour et les hasards, un brin de télépathie et beaucoup de destinée, le cirque et la Mosquée bleue, le dramatique du noir et blanc et la musique enlevante: Leconte semble avoir accumulé tout ce qui le fait rêver depuis longtemps. Ce film ressemble à un désir de jeune homme qui aurait assez roulé pour s’offrir une histoire d’amour absolu, son Pandora, son Casablanca, son couple de cinéma. «Ça veut dire qu’on peut avancer en âge avec une certaine fraîcheur d’esprit! lance Leconte. C’est ce que je désire, évidemment. Mais je reste surtout persuadé que tout nouveau film est le contraire du précédent. Une chance sur deux a été une aventure assez lourde, avec les acteurs, les cascades, etc. Et puis, ça n’a pas bien marché. La Fille sur le pont est venu me donner une légèreté et une liberté nécessaires.» Il parle même d’inconscience, l’impression d’avoir fait ce film à l’aveugle, comme Gabor quand il lance ses couteaux.

Chabadabada…
Malheureusement, La Fille sur le pont n’est pas l’oeuvre la plus réussie de Leconte. Est-ce cet enthousiasme, cette si forte envie de chance qui, au fur et à mesure, enlisent les héros dans des rôles de pantins, et tuent toute subtilité? Plus ils se trouvent et moins ils sont réels. Plus ils s’éloignent l’un de l’autre et découvrent leur amour, plus on décroche. Leconte nous force à plonger avec lui dans les hasards et les coïncidences. Tristes échos lelouchiens… La magie de l’amour absolu ne marche pas à tous les coups, et c’est d’autant plus dommage que tout le monde veut croire à un conte de fées. N’empêche, le départ du film annonçait un bon cru: Vanessa Paradis raconte sa vie de triste Adèle, comme dans un reality show, seule à la caméra durant plus de six minutes. Une longue tirade de misères tragico-comiques qu’elle a dévidée en une seule prise. «J’avais les larmes aux yeux à la fin de la scène», se souvient le réalisateur, en admiration devant le caractère de bosseuse de l’actrice qui connaissait tous les dialogues (de tout le monde!) dès le premier jour… La générosité des acteurs, leur compréhension quasi immédiate du parfum du film, le plaisir de ces neuf semaines de tournage font de La Fille sur le pont un film particulièrement cher au coeur du cinéaste. Certaines scènes, notamment celles du début de la relation, quand les deux s’apprivoisent et s’engueulent, ont ce ressort comique qui fait la force de Leconte. Cette façon vive, presque pétillante, d’aborder une conversation où tout peut arriver. Mais la légèreté disparaît vite. La vraie magie de la rencontre fait place à la fascination d’un réalisateur amoureux de ses acteurs, pris au piège de sa propre poésie.

Cette Fille sur le pont était une bulle d’air nécessaire à son auteur, mais le réalisateur est déjà ailleurs, happé par La Veuve de Saint-Pierre, avec Binoche, Auteuil et Kusturica, tourné en Nouvelle-Écosse, et tout frais sorti du mixage. Déjà, il a trois projets, et sa grande question est de savoir lequel aborder en premier. Malgré une critique parisienne défavorable, Leconte crie tout haut qu’il continuera à faire un «cinéma populaire de qualité», car, dit-il, «j’ai envie de faire des films qui, le temps de la projection, parfument la vie des gens».

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