Train de vie : Sur les rails
Cinéma

Train de vie : Sur les rails

Qui aurait cru que la \«comédie concentrationnaire» deviendrait un jour un genre cinématographique? L’idée semblait jadis si absurde, que le premier à l’avoir eue (Jerry Lewis, pour ne pas le nommer) ne put trouver les fonds nécessaires pour compléter le film (The Day the Clown Cried) qui l’aurait mise de l’avant. Pourtant, voici qu’en moins d’un an nous venons de voir La vie est belle (les camps de la mort vus à travers l’humour italien de Benigni); Jakob the Liar (les camps de la mort vus à travers l’humour polonais de Kassovitz père); et maintenant Train de vie (les camps de la mort vus à travers l’humour roumain de Radu Mihaileanu – réalisateur de Trahir). Coïncidence, plagiat ou air du temps? Difficile à dire…

Ce qui est sûr, en tout cas, c’est que Train de vie (qui fut mis en chantier avant le film de Benigni, à qui il avait d’ailleurs été proposé) est un film inégal, mais généralement drôle et jouissif, qui relève étonnamment bien le défi de faire rire (et parfois même très fort) en évoquant les horreurs nazies.

Un film de mauvais goût? Pas du tout. L’oeuvre est même, au contraire, d’une convenance et d’un classicisme assez étonnants. Naviguant habilement entre la fable à la Chaplin (The Dictator) et la farce à la Lubitsch (To Be or Not to Be), ce film – qui ne s’approche toutefois pas de ces deux chefs-d’oeuvre – est une comédie intelligente et sensible qui exploite efficacement une prémisse astucieuse: en 1941, les habitants d’un village juif d’Europe de l’Est décident – à l’instigation du fou du village (Lionel Abelanski) – de fuir les nazis en organisant un faux train de déportation. Le rabbin du village (Clément Harari) commence à se prendre pour Moïse, menant son peuple vers la Terre promise; le chef des faux nazis (l’excellent Rufus) se met à prendre son«rôle» un peu trop au sérieux; un jeune étudiant (Bruno Abraham-Kremer) sème la zizanie dans le train en prônant le marxisme (qu’il vient de découvrir) et une jeune beauté (Agathe de la Fontaine) découvre les hommes, entre deux tentatives d’un groupe de résistants maladroits, décidés à faire sauter le train.
On voit bien ce que le scénario du film recèle de possibilités comiques, possibilités que Mihaileanu exploite d’ailleurs de manière attendue mais habile (il faut entendre le discours de Rufus sur la difficulté d’être un «bon nazi»). La photo de Yorgos Arvanitis et de Laurent Dailland est à l’image du film (plaisante mais démodée, dans un style qui évoque les années 60), et la musique tonitruante de Goran Bregovic (compositeur attitré des films de Kusturica) renforce le pittoresque forcé (mais assez irrésistible) de l’ensemble. Bref, c’est gros, mais ça marche bien (sauf pour une légère baisse de tension dans le dernier tiers), et le film offre même quelques morceaux d’anthologie (comme cette scène où Rufus, en faux général allemand, débarque dans un village conquis pour reprendre un de «ses» juifs). On ne s’étonne donc pas qu’il ait remporté une dizaine de prix internationaux.

Curieux mélange, à mi-chemin entre le Stanley Kramer de The Secret of Santa Vittoria et le Gérard Oury de La Grande Vadrouille (!), cette comédie vieillotte mais efficace a surtout l’avantage de se conclure brillamment, par une pirouette émouvante et assez habile: une fin à la fois réaliste et poétique, qui rappelle l’horreur derrière la comédie, et qui réconcilie vérités et mensonges dans un dernier élan de folie.

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