Felicia's Journey : Psycho pop
Cinéma

Felicia’s Journey : Psycho pop

Après la réussite incontestable de The Sweet Hereafter, ATOM EGOYAN transpose ses préoccupations dans l’univers de Felicia’s Journey, film formellement impeccable, mais souvent ridicule. Meilleure chance la prochaine fois…

S’il est une chose qui amène les cinéastes les plus talentueux et les plus intelligents à accoucher parfois d’ouvres maladroites et risibles, c’est bien la volonté de greffer coûte que coûte, et en dépit de presque toute logique, leurs obsessions et petites manies sur des ouvres qui n’avaient à peu près aucun rapport avec elles à l’origine. Lorsqu’ils le font, ce qui semblait ailleurs si adroit, subtil et cohérent devient maniéré, grotesque ou absurde, et les détails cachés que l’on prenait plaisir à découvrir apparaissent tout à coup aussi évidents qu’un symbole mis entre parenthèses et souligné à trois reprises.

Drôle d’introduction, me direz-vous, mais Felicia’s Journey est un drôle de film: une des ces ouvres, à la fois impeccable (par sa beauté formelle) et ridicule (par ses maladresses narratives), où beaucoup d’efforts, de talent et d’intelligence semblent avoir été mis au service d’une histoire qui croule sous le poids de tout ce que son réalisateur tente maladroitement de lui faire dire.

Premier film d’Atom Egoyan après le triomphe mérité de The Sweet Hereafter (sa très belle adaptation du livre de Russell Banks), Felicia’s Journey s’inspire à nouveau d’un roman prestigieux (écrit cette fois par William Trevor), mais avec des résultats nettement moins convaincants.

Felicia (l’excellente Elaine Cassidy) est une jeune femme qui quitte l’Irlande avec l’espoir de retrouver en Angleterre la trace du soldat britannique (Peter McDonald) dont elle porte l’enfant. Errant dans les rues de Birmingham, elle croise par hasard le parcours de Monsieur Hilditch (Bob Hoskins), un bon Samaritain qui a l’habitude d’aider les jeunes filles en détresse, mais qui est en fait (surprise!) un tueur en série…

Malheureusement, on ne croit jamais à ce chef d’entreprise dans le domaine de la restauration, qui vérifie amoureusement la qualité de ses produits (du plum-pudding au porridge) lorsqu’il n’est pas en train de filmer avec des caméras cachées les auto-stoppeuses qu’il s’apprête à tuer, et qui se repasse inlassablement les vieilles émissions de cuisine de sa maman (Arsinée Khanjian, affublée d’un accent français!) qui ne lui donnait pas d’amour, mais le forçait à manger ses plats à la télévision! On n’y croit pas, parce que ce personnage pseudo-hitchcockien (même son nom renvoie au maître du suspense) est une caricature sortie d’un cours de Psychanalyse 101 (Maman + Nourriture – Amour = Mangeur de petites filles). Mais aussi parce que tout ce qui touche le personnage d’Hilditch (de l’utilisation systématique qu’il fait de la vidéo au rapport qu’il entretient avec l’image de sa mère) a visiblement été plaqué par Egoyan de manière aussi artificielle qu’évidente (dans le roman, il n’y avait pas de vidéo, mais une mère qui collectionnait les amants et couchait avec son fils).

De fait, Felicia’s Journey est truffé de «touches d’auteur» plus ou moins heureuses, mais presque toujours redondantes, qui ne semblent pas avoir d’autre but que de rapprocher le film des obsessions d’Egoyan: qu’il s’agisse du poids des traumatismes, des périls du repli sur soi, de l’aliénation au sein de la famille ou de la complexité de nos rapports à la technologie. Mais, tandis que ces thèmes émergeaient naturellement de The Adjuster ou The Sweet Hereafter, ils se greffent ici plus ou moins bien (et parfois même pas du tout) à un film qui se réduit souvent à un système d’oppositions simplistes: innocence/perversité, Irlande/Angleterre, rejet du père/rejet de la mère, etc. Bref, le fond est si maladroitement intégré à la forme qu’on a parfois l’impression de lire une analyse au lieu de voir un film.

Si ce que nous raconte cette fois Egoyan n’est pas particulièrement crédible, la manière dont il le raconte est toujours aussi élégante: les images de Paul Sarossy utilisent le scope avec intelligence et beauté; la musique de Mychael Danna est, comme toujours, remarquablement originale et audacieuse (malgré quelques passages un peu trop insistants); et le montage de Susan Shipton entremêle avec beaucoup d’habileté un réseau d’intrigues relativement complexe.
Toutefois, la qualité de leurs contributions formelles ne fait que mettre en lumière les lacunes dramatiques du film, et souligne cruellement l’incapacité d’Egoyan à intégrer ses obsessions habituelles d’une manière harmonieuse et crédible. Avec le résultat que cette drôle de variation sur La Belle et la Bête est finalement un film aussi étrange que la relation entre Hilditch et Felicia: une ouvre élégante mais artificielle, qui séduit parfois mais ne convainc jamais…

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