Cinéma

The Minus Man : Malaise à l’aise

Malaise social dans American Beauty, malaise politique dans Election, malaise sexuel dans Happiness. Malaise identitaire dans The Minus Man, de Hampton Fancher. Avec cynisme, humour et talent, un certain cinéma américain se réveille et fait état des crises existentielles du peuple. Fancher est un drôle d’oiseau qui, à 61 ans, vient de se risquer à la réalisation. Sérieusement post-hippie, et scénariste de Blade Runner, il a enfin réalisé son premier long métrage à partir d’un roman, celui de Lew McCreary. Il aurait dû se lancer plus tôt.

Vann (Owen Wilson) roule dans son pick-up, s’arrête dans un bar et discute de cornichons avec une junkie sympathique (Sheryl Crow). Elle meurt dans son camion, après une overdose, semble-t-il. Vann arrive dans une petite ville de la Côte Ouest. Il dort chez un couple (Brian Cox et Mercedes Ruehl) qui va mal depuis que la fille de la maison n’est plus. Il devient postier, se fait draguer par Ferrin (Janeane Garofalo). Il côtoie des gens solitaires. Il est le seul à leur parler. Et à les tuer parfois.

En regardant The Minus Man (Prix spécial du Jury au dernier FFM), d’autres films remontent à la surface, des films avec des antihéros qu’on ne pensait plus voir au cinéma américain. On repense aux cow-boys solitaires des années 70, aux errances de Badlands, aux tournures tordues de David Lynch, à l’innocence de Peter Lorre dans M le Maudit ou à celle, plus folle, de Perkins dans Psycho. Il est assez facile de donner à The Minus Man des parrains si illustres, tant le film fait ressurgir avec clarté ces notions de bien et de mal qui se côtoient, sans que quiconque fasse la différence. Dans ce film tranquille, qui avance comme dans une réalité engourdie, façon Blue Velvet, un héros blond aux yeux bleus, au sourire gauche et aux manières affables attire et révulse à la fois. Ce n’est pas nouveau, mais c’est bien fait. Chaque personnage joue un double jeu. Sous l’apparente image du voisin, du copain, du serveur parfait, se trouve un autre être, plus torturé. Assez tordu parfois pour aller jusqu’à supprimer des vies.

Le meurtre est ici inexpliqué, d’où sa force. Habitués que nous sommes à connaître la carte d’identité historique et génétique d’un tueur en série, on reste ici en suspens. On ne sait pas qui va mourir, ni quand. Vann ne sait pas d’où il vient, ni où il va, seulement inquiété par deux policiers fantasmagoriques qui torturent ce qui lui reste de conscience. Une musique triste et limpide, un décor clair et laiteux ordonnent cette impression de pesanteur. Étonnant Wilson qui avance comme un ange destructeur, qui tue pour faire de la place, sans savoir pourquoi.

Excellent Brian Cox, qui bascule du paternalisme rassurant à la folie autodestructrice. Garofalo et Ruehl sont deux pros; et Sheryl Crow fait bonne figure dans ce premier rôle.

Fancher a imposé un ton hypnotique, mi-amusant, mi-sincère, sur un scénario habile qui jamais ne lasse. Car, dans ce film, il est difficile de prévoir, donc de s’ennuyer, tant la logique est proche de l’instinct. The Minus Man nous fait gentiment remarquer que le chaos est normal. Donc tout va bien.

Au Cinéma du Parc
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