Romain Goupil : À mort la mort!
Cinéma

Romain Goupil : À mort la mort!

La fin des illusions politiques, l’amour qui fout le camp, le sida et le suicide qui font des ravages: Romain Goupil aurait pu faire une tragédie, mais il a concocté À mort la mort!, une comédie mordante. Rencontre avec un cinéaste pétant de santé.

En septembre 1996, Romain Goupil est allé à six enterrements d’amis. «On est tous d’anciens militants, explique le cinéaste, et on se rencontrait plus aux enterrements qu’aux manifs. Que fallait-il faire: occuper les cimetières?» Le ton était donné pour À mort la mort!, un film exutoire qui choisit la vie, l’humour plutôt que la sinistrose. Avec un titre en forme de slogan, Goupil fait son deuil des potes disparus comme du dogmatisme soixante-huitard et orchestre un film joyeux et plein de charme.

Éditeur parisien, Thomas (Goupil) est marié à Ermeline (Marianne Denicourt); ils ont quatre enfants, plein de copains, et les potes de mai 68 se retrouvent aux enterrements – suicides, sida et arrêts cardiaques font des ravages. Thomas continue de vivre, entre femme, enfants, maîtresses, ex-maîtresses, copines et copains de toujours. Si la mort brouille les cartes, elle ratisse aussi une époque, celle d’un militantisme pur et dur. «Bien sûr, le film signe une rupture, explique le réalisateur. Mais je ne suis pas nostalgique, nous n’étions pas des modèles!» Déformation idéologique, il est rare d’entendre un «je» dans la bouche de Romain Goupil. À croire que sa vie et ses films ne sont qu’un projet commun. Ancien assistant réalisateur (Tess, Sauve qui peut (la vie)), Goupil n’a jamais cessé, dans sa vie autant que dans ses films (Lettre à L. sur la Yougoslavie), d’être un militant actif.

Vie et fiction: Goupil mélange tout dans une pirouette, mais il profite de son scénario joliment dosé, composé en pointillé savoureux, pour faire passer quelques messages d’importance.

Première constatation: on peut être militant et avoir de l’humour. «C’est vrai que la façon dont on pensait l’histoire était en fonction d’une grille de lecture marxiste-léniniste, mais nous avons fait notre deuil de ce militantisme dogmatique et sectaire. On peut maintenant en faire la critique. Et je me mets dans le lot, je fais de l’autodérision sympathique.»

Seconde constatation: dérision ne veut pas dire cynisme. Dans un pays où la raillerie semble la voie la plus facile pour livrer un message, Romain Goupil se moque gentiment d’une génération avec qui on pourrait être beaucoup plus vache. Sous le couvert du rire, il reconnaît que les idéaux d’hier n’ont pas réglé grand-chose, et que les couples chaotiques, les femmes seules, les overdoses et les théories fumeuses sont toujours au rendez-vous. Mieux vaut en rire, en effet. D’ailleurs, le narcissisme bon enfant de Goupil fait de Thomas un dragueur invétéré, qui égratigne au passage le féminisme politiquement correct, tout en emballant les plus sceptiques dans une adorable finale.

Dernière constatation: mieux vaut prendre le bon côté des choses. «Je suis toujours contre l’injustice et toutes les formes du totalitarisme. Mais quand je vais au Kosovo, quand je manifeste pour les sans-papiers, je cherche pour quoi et non contre quoi il faut le faire.» Pour Goupil, le plaisir est subversif, même si celui qui affiche son bonheur de vivre et d’aimer peut facilement être taxé d’irresponsable. Le ballet des maîtresses, la mort des amis, la fin des manifs: tout pourrait être dramatique, mais sous le regard guoguenard et détaché de Goupil, tout est rose. Exception faite de la responsabilisation des générations futures, alors que le cinéaste s’inquiète de la victimisation des plus jeunes, du syndrome «C’est pas de ma faute».

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