The Cider House Rules : Maux à mots
Cinéma

The Cider House Rules : Maux à mots

The Cider House Rules est un mélodrame distingué, réalisé par un cinéaste d’origine suédoise (Lasse Hallström), et scénarisé par un écrivain célèbre ayant toujours désapprouvé les films tirés de ses livres (John Irving).

Drôle de film que ce mélodrame distingué, réalisé par un cinéaste d’origine suédoise (Lasse Hallström), et scénarisé par un écrivain célèbre ayant toujours désapprouvé les films tirés de ses livres (John Irving); donnant à un comédien britannique, boulimique et souvent paresseux (Michael Caine) un personnage digne de son talent; et marquant les débuts prometteurs, dans un rôle de composition, d’une chanteuse noire américaine (Erykah Badu). Drôle de film d’époque où la reconstitution historique est à peine esquissée, et qui met bout à bout deux histoires cousines, mais si distinctes qu’elles auraient pu faire l’objet de deux films.

Nous sommes dans les années 40, dans le Maine. Bourru, généreux et pragmatique, le docteur Wilbur Larch (Caine) dirige depuis longtemps un orphelinat où il pratique des avortements illégaux, libérant des femmes paniquées. Élevé par le bon docteur, Homer (Tobey Maguire) a appris la médecine sur le tas; mais, alors que tout indique qu’il succédera à son mentor, le jeune homme part travailler pour un pomiculteur, dont la fille (Charlize Theron) s’est fait avorter. Homer vivra dans une baraque, avec des ouvriers noirs, dont un père (Delroy Lindo) et sa fille (Badu). En marge des classes sociales, ce Candide des temps modernes se fondra autant aux employés qu’à la famille de son patron, au point que…

C’est la première fois que John Irving scénarise un film inspiré d’un de ses livres – ce qui n’est pas obligatoirement un gage de fidélité. Si on reconnaît bien l’univers de l’écrivain (personnages complexes, grandes questions morales, retournements dramatiques, humanisme teinté d’une pointe de cynisme), on sent, même sans avoir lu le livre, tout ce qu’il a dû supprimer, condenser, simplifier. Là où le cinéma gagne en temps pour planter un décor, dessiner un personnage, il perd en complexité quand il s’agit de mener plusieurs aspects de front: vie intérieure et sociale, sentiments contradictoires, réflexions et actions. Et ça se sent dans The Cider House Rules (L’œuvre de Dieu, la part du Diable), qui assume le mélodrame de l’intrigue, mais n’arrive pas à lui donner une profondeur que le livre possède probablement. Comme si Hallström avait rempli à ras bords ce film d’apprentissage (comme on le dit d’un roman), trop court pour explorer à fond tous les âges de la vie qu’il prétend aborder: l’enfance dans ses dimensions les plus dramatiques (avortement, naissance, abandon, inceste), l’adolescence («Go West, young man», éveil sexuel, premières désillusions, premiers éblouissements), l’âge adulte (responsabilités morales et sociales, le Travail, les idéaux trahis, le temps qui passe) et la vieillesse (bilans définitifs, renoncements, sagesse relative, paniques de dernière minute et petits plaisirs). Rajoutez à ça les rapports hommes-femmes, les tensions raciales, l’amour sous toutes ses formes (filial, conjugal, sexuel, amical, etc.), et un autre film qui démarre alors que Homer quitte l’orphelinat, ça fait beaucoup pour un seul film.

Cela dit, comme dans What’s Eating Gilbert Grape?, Hallström tire le meilleur de ses comédiens: Michael Caine compose un personnage dense et touchant; Maguire confirme son jeune talent; Theron est étonnante; et les petits orphelins tireraient des larmes aux yeux les plus secs. Mais, bien que son exécution soit irréprochable (photo, musique, etc. sont impeccables), The Cider House Rules reste un roman-fleuve déguisé en long métrage. Un film ambitieux et inégal, étouffé par des standards cinématographiques étroits. Au moins a-t-il des ambitions: c’est déjà beaucoup…

Voir calendrier
Cinéma exclusivités