Magnolia : Psycho-pop
Cinéma

Magnolia : Psycho-pop

À 29 ans, PAUL THOMAS ANDERSON signe un des films les plus ambitieux des dix dernières années. Une saga intimiste et audacieuse dont les défauts même (certaines longueurs, des excès, et quelques complaisances) sont plus séduisants que bien des qualités d’autres films plus uniformes. Après Boogie Nights, Magnolia confirme que P.T. Anderson est un futur cinéaste majeur.

Pour le meilleur et pour le pire, on trouve de tout dans Magnolia: mélodrame flamboyant et cynisme le plus noir, Harlequin sentimental et second degré postmoderne, un mort chantant une ballade folk et un enfant surdoué qui pisse sur un plateau de télé, des plans-séquences arpentant des couloirs sans fin et des gros plans extrêmes sur des acteurs en larmes, un homme-grenouille mort d’une crise cardiaque au faîte d’un sapin après avoir été aspiré par un Canadair, et une piscine californienne remplie de centaines de crapauds tombés du ciel!

On le savait déjà depuis Boogie Nights: Paul Thomas Anderson a de grandes ambitions et, la plupart du temps, le talent pour les atteindre. Ici, ce n’est ni plus ni moins qu’une chronique de la Californie d’aujourd’hui qu’il tente de peindre en trois heures et dix minutes, entrecroisant une douzaines de personnages dans plusieurs histoires en parallèle, pendant 24 heures. Fresque socio-biblique de l’humanité de la fin du XXe siècle, Magnolia ratisse large, mosaïque baroque qui agace parfois, mais qui, le plus

souvent séduit, soulève, et émeut.

Sur son lit de mort, le riche producteur d’un jeu télévisé (Jason Robards) désire revoir son fils qu’il a abandonné avec sa mère, 20 ans plus tôt. Alors qu’elle l’a épousé pour sa fortune, sa jeune femme (Julianne Moore) est rongée par le remords lorsqu’elle réalise qu’elle aime vraiment son mari, tandis que son infirmier (Philip Seymour Hoffman) fait tout pour retrouver le fils du mourant (Tom Cruise), maintenant preacher macho qui vend de l’estime de soi en vidéo. Un petit garçon surdoué (Jeremy Blackman), vedette du jeu télévisé, ne comprend pas que son père (Michael Bowen) l’exploite, tandis que le vieil animateur de ce même jeu (Philip Baker Hall) apprend qu’il lui reste deux mois à vivre, et tente de se réconcilier avec sa fille (Melora Walters), perdue et cocaïnomane, et qui fuit l’affection d’un bon flic (John C. Reilly) qui, lui, doute de ses capacités, et arrêtera un ancien whiz kid (William H. Macy), alors qu’il cambriole le magasin où il travaille, amoureux d’un barman culturiste!

De Welles à Scorsese en passant par Altman, Coppola et Cassavetes, Anderson ne renie pas ses influences, au contraire: à 29 ans, le cinéaste-cinéphile les intègre et les adapte. Magnolia évoque Short Cuts et Nashville, avec ses parcours entrecroisés et ses destins entremêlés; mais aussi The Killing of a Chinese Bookie, de Cassavetes, et The Long Goodbye, d’Altman, pour la caméra qui traque le regard des comédiens et la façon qu’il a de filmer un Los Angeles hors-cliché. Mais, à l’instar de Boogie Nights, le film qui se rapproche le plus de cet opus tous azimuts, c’est encore GoodFellas avec lequel il partage une structure qui s’apparente plus à la musique classique qu’au cinéma hollywoodien traditionnel. Des chansons originales d’Aimée Mann (introspectives et poético-psycho-pop) aux hits dont Anderson parsème son film, en passant par la superbe trame sonore de Jon Brion (visiblement inspiré par Georges Delerue), la musique est omniprésente dans cette saga intimiste. Mais c’est dans sa construction que Magnolia trahit sa nature véritablement symphonique. On a droit à un prologue qui, tout en annonçant le ton et les idées à venir, n’a aucun rapport avec les histoires développées par la suite; chaque personnage a son solo, certains répondant à d’autres; les personnages secondaires font contrepoint aux intrigues principales, menées en parallèle, puis en harmonie (discordantes ou non), jusqu’à une finale tonitruante où thèmes et personnages se fondent en une conclusion «opératique».

Véritable Orson Welles des années 90, Anderson est maître après Dieu dans cette odyssée du quotidien qu’il contrôle de bout en bout. Cette mainmise sur chaque élément de son travail se perçoit jusque dans les longueurs qu’on sent parfaitement assumées. La plupart du temps, il s’agit d’un plan qui s’attarde sur un visage, un regard, hommage à ses acteurs qu’Anderson filme ici avec une admiration lancinante.

Brassant, par le biais de sujets à la mode (les médias, la drogue, la délinquance, la famille), des thèmes intemporels, Magnolia est plus à contre-courant qu’on ne pourrait le croire à première vue. D’abord en refusant la sacro-sainte efficacité d’un cinéma de consommation rapide («Get to the point!» pourrait en être la devise), mais aussi en plaçant au centre de ses préoccupations des notions aussi basiques que le Bien, le Mal et le Pardon. Encore là, Scorsese n’est pas très loin…

Dommage qu’Anderson ponctue son film d’autant de phrases explicatives (la dernière demi-heure surtout regorge de formules toutes faites, de celles qu’on impriment sur des t-shirts) qui lui donne parfois des airs de dramatique télévisée. Cela dit, avec ses grandes qualités et ses quelques défauts, Magnolia est un objet rare: un film qui a de la personnalité.

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