Karnaval : Avec tambour et trompette
Cinéma

Karnaval : Avec tambour et trompette

Entre les grisailles de Dunkerque et la folie de son carnaval, entre le réalisme social et la fable, Thomas Vincent a trouvé un ton. Fabrication d’un style.

Ville côtière, grise et humide, près de la frontière belge, Dunkerque est surtout connue pour son débarquement. Avec le premier film de Thomas Vincent, elle risque de le devenir également pour son carnaval. Le restaurant thaïlandais branché de Pigalle où est attablé le jeune cinéaste n’a pas grand-chose à voir avec Dunkerque; et pourtant, cette ambiance exotique, perdue dans la grisaille parisienne, n’est pas sans rappeler le contraste entre les couleurs criardes du carnaval dunkerquois et la toile de fond glauque qu’on retrouve dans Karnaval. «Même en France, personne ne connaît le carnaval de Dunkerque, explique le réalisateur, énergique, disert et chaleureux. Je l’ai découvert grâce à Maxime Sassier, mon coscénariste. Je suis allé y voir par pure curiosité, et j’ai adoré ça: c’est laid, bruyant et ça pue; mais quand on est dedans, c’est très drôle.» Dans le film, les scènes de foule sont, en effet, assez impressionnantes, à mi-chemin entre le carnaval de Rio (pour les couleurs et l’animation bordélique) et celui de Québec (pour le froid qui précipite l’ivresse?).
Enfant de la balle (sa mère, Hélène Vincent, était, entre autres, dans La vie est un long fleuve tranquille et J’embrasse pas), et d’abord attiré par l’aventure du photo-reportage, Thomas Vincent n’a toutefois pas l’âme d’un documentariste. Si l’aspect réaliste du carnaval de Dunkerque l’a stimulé, c’est bien une histoire de fiction qu’il voulait développer. «Quand on veut faire un premier film, aujourd’hui, en France, on a deux choix: le cinéma d’auteur réaliste ou le cinéma jeux vidéo. Ma nature m’attirait vers le premier, mais j’étais frustré par l’aspect misérabiliste, le manque de lyrisme qu’on y retrouve souvent. Sur papier, le synopsis de Karnaval, c’est celui de plusieurs premiers films français. Mais, de propulser cette histoire-là dans un univers complètement décalé, ça m’a permis de faire un film n prise sur le social, mais avec une poésie forte, et un aspect spectaculaire; parce que le carnaval est un accélérateur dramatique formidable.»
Alors qu’il allait prendre le train pour Marseille, Larbi (Amar Ben Abdallah), jeune homme en rupture de famille, croise le chemin de Béa Sylvie Testud), qui fête vigoureusement le carnaval avec son mari docker (Clovis Cornillac). Le futur exilé et la jeune épouse se tourneront autour, attirés mais méfiants, surveillés par le mari, amoureux et jaloux. Cette géométrie classique du trio de vaudeville est renouvelée par le décor carnavalesque, moment qui abolit les conventions, et personnage à part entière d’une histoire dont les protagonistes doivent choisir entre le fantasme et la réalité, et, peut-être même, décider lequel des deux est le plus réel.
Entre l’onirisme d’un Jaco Van Dormael et l’hyperréalisme d’un Érik Zonca,Karnaval possède un ton extrêmement personnel, un mélange tonifiant de vigueur et de mélancolie, à mi-chemin entre le documentaire d’auteur et la fable. Une façon de filmer le réel sans complaisance qui évoque celle de Manuel Poirier, et que le cinéaste en herbe a découverte au fur et à mesure. «Je pense que c’est pareil pour tout le monde: on suit sa nature. Au début, on se dit: je vais faire ça. Finalement, on fait un peu autre chose. Et, si on est malin, on dit: c’est exactement ce que je voulais faire! Après, il faut assumer ce qu’on est. On peut essayer de faire d’autres films, mais on les fera mal. Par exemple, j’adore Atom Egoyan, mais si j’essayais d’en faire, je ferai du très mauvais Egoyan!» Tout de même attiré par la nouveauté, Thomas Vincent est en train d’écrire une adaptation de Trouille, de Marc Behm (auteur du roman The Eye of the Beholder), l’histoire d’un joueur de poker hanté par une femme en noir, qui est la mort, mais aussi le sosie de sa mère. «Avec mon premier film, je voulais quelque chose de simple. Là, je m’aventre dans une histoire plus bizarre, parce que l’accueil favorable qu’a reçu Karnaval me permet de risquer.»
Doté d’une affiche superbe qui traduit avec justesse l’ambiance du film, Karnaval s’achève sur une fin remarquable dans son refus de la pirouette, conséquente dans la volonté du cinéaste de ne pas enjoliver ou assombrir son histoire, touchante et banale à la fois. «On a eu beaucoup de mal à trouver la fin. Alors, on a repris chaque personnage, en se demandant: qu’est-ce qu’il a envie de faire? Qu’est-ce qui est le plus juste et le plus vrai pour chacun d’eux?» En nomination pour le César de la première oeuvre, Karnaval annonce l’arrivée d’un cinéaste qui a de la poésie, duculot et de l’intégrité. À suivre de très près?