Rétrospective Luis Buñuel : Don Luis, l'insoumis
Cinéma

Rétrospective Luis Buñuel : Don Luis, l’insoumis

Pour savoir si Luis Buñuel, cinéaste majeur du XXe siècle, reste une figure sulfureuse, jugez-en par vous-même: la Cinémathèque propose son oeuvre intégrale, du 1er au 31  mars.

Quand on proposait à Luis Buñuel une explication à telle scène particulièrement étrange d’un de ses films, le Maître se montrait étonné et s’en sortait par une boutade. Ah bon!, il n’avait pas pensé à ça, ne voyait pas cela de cette façon… Pourquoi y a-t-il des aigles et des rochers dans la lunette des toilettes, de L’Ange exterminateur? Qu’est-ce qui bourdonne dans la boîte de Belle de jour? C’est quoi, exactement, Cet Obscur Objet du désir? Luis Buñuel ne sait pas, il a aimé l’image, voilà tout. Comme si le subconscient se refermait, une fois l’oeuvre terminée. Se pourrait-il que cette façon de toujours ramener son oeuvre à un niveau très plat, presque frontal, alors que des générations d’aficionados s’évertuent à chercher le sens caché, soit une des caractéristiques du génie (et du cabotin)? Le spectateur, fasciné par ce qu’il voit sur l’écran, essaie de comprendre. De film en film, et à la lumière de la vie de l’auteur, on se perd dans le dédale des contradictions, avec l’ironie pour seul fil d’Ariane.
Buñuel cadre souvent sous les genoux, filme les chaussures, les pieds, les pas d’hommes et de femmes (il choisit Jeanne Moreau, pour Le Journal d’une femme de chambre, parce que, dit-il, il aime le mouvement de ses chevilles…), mais il refuse le terme de fétichiste. Il se raille de la classe aisée, entre autre dans Le Charme discret de la bourgeoisie, mais vivait lui-même une vie rangée et ordonnée que l’on peut qualifier de bourgeoise. Il était ami avec Feder__ico Garcia Lorca, mais n’aimait pas trop sa poésie. Le coeur à gauche, il ne s’est pas attaché au communisme; grand mystificateur, il s’est aussi détaché du surréalisme. Et s’il cassait constamment du sucre sur le dos de la religion, il recevait avec déférence quelques prélats et jésuites chez lui. Mais des bizarres, paraît-il. Heureusement. Enfin, cet homme qui savait se taire et écouter, toujours très attentif aux autres, était atteint de surdité.
Bref, Buñuel, maître du cinéma, aurait eu cent ans le 2 février 2000. Pour cet anniversaire, la Cinémathèque québécoise propose la filmographie complète du cinéaste. Après une recherche exhaustive à l’étranger, on peut donc se régaler devant l’intégrale de son oeuvre. Se régaler, parce que maintenant, il n’y a plus rien à craindre. Ni du pape ni des censeurs. Or, si le temps qui passe a enlevé le soufre, le souffle du réalisateur reste intact. Dérangeant et superbe. Avec cette façon à la fois si tordue et si claire de présenter ses réflexions sur la religion, la sexualité, la morale, la misère ou la solitude humaine, on comprend pourquoi Buñuel a fait hurler les bien-pensants entre les années trente et soixante-dix.
Ce ton vicieux, volontairement léger, toujours ironique, imprègne tous ses films, aussi bien dans ses périodes espagnole, mexicaine que française. Caméra presque immobile, peu de champ contrechamp, musique présente et contrastante, Don Luis filme et nous met en état d’hypnose. A-t-on bien vu un oeil coupé en deux dans Le Chien andalou, un diable habillé en fillette dans Simon du désert, des méchants pauvres caricaturer la Cène dans Viridiana? Est-ce bien des mouches qui tournent autour des oubliés de la civilisation dans Las Hurdes (Terre sans pain), interdit pour sa vision misérabiliste de l’Espagne franquiste? En cinquante ans de carrière, Buñuel a réalisé plus de trente films. Tous différents et parfaitement reconnaissables. À voir d’urgence, en espérant que sa raillerie tranquille dérange encore un peu…________Du 1er au 31 mars, Cinémathèque québécoise
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