Mifune : Les limites de la foi
Cinéma

Mifune : Les limites de la foi

On ne parlerait sans doute pas autant de Mifune, le neuvième long métrage de Soren Kragh-Jacobsen, si ce film parfaitement moyen ne portait pas l’imprimatur du Dogme 95 – le mouvement fondé par Lars von Trier (Les Idiots) et Thomas Vinterberg (La Célébration).

On ne parlerait sans doute pas autant de Mifune, le neuvième long métrage de Soren Kragh-Jacobsen, si ce film parfaitement moyen ne portait pas l’imprimatur du Dogme 95 – le mouvement fondé par Lars von Trier (Les Idiots) et Thomas Vinterberg (La Célébration) -, dont les dix commandements («Tu ne filmeras pas avec un trépied, avec des éclairages ou avec des accessoires…») commencent à ressembler aux règles d’une vaste campagne de mise en marché, du genre: «Filmez comme nous filmons, et nous créerons ensemble l’illusion d’une autre Nouvelle vague.»
De fait, la curiosité qui entoure les films du Dogme est si grande – Mifune est le troisième, et il y en a au moins deux autres à venir – qu’elle peut même ressusciter la carrière moribonde d’un réalisateur comme Kragh-Jacobsen (un faiseur de 51 ans, spécialisé dans le film pour enfants et les euro-puddings pour la télévision). Mieux: elle permet de dissimuler le fait que ce film quelconque ressemble à un étrange croisement entre Rain Man et Pretty Woman…
Kresten (Anders. W. Berthelsen) est un arriviste qui vient d’épouser la fille de son patron. Sa lune de miel est toutefois interrompue lorsqu’il apprend que son père (qu’il fuyait depuis dix ans) vient de mourir. Kresten retourne alors à la ferme familiale, où il doit non seulement veiller aux funérailles de son père, mais aussi s’occuper de son frère (Jesper Asholt), un attardé mental dont il calme les crises en imitant Toshiro Mifune (!). Comme la tâche est lourde, il place une petite annonce qui attire l’attention de Liva (Iben Hjele), une fausse bonne qui est en fait une prostituée…
Tout ça ne fait pas un film, me direz-vous, et vous aurez bien raison. On s’étonne d’ailleurs que Mifune parvienne généralement à retenir l’attention malgré la minceur de sa prémisse et la faiblesse de son scénario. Mais le talent des acteurs (tous impeccables) et le naturel de l’ensemble (assez convaincant) font que l’on s’accroche malgré tout à ce fil maigrelet qui recycle plusieurs des ressorts exploités par Les Idiots et La Célébration (les secrets de famille, la violence sexuelle, la maladie mentale…).
Fait certain, on aurait du mal à trouver un meilleur plaidoyer en faveur des règles du Dogme que ce film qui serait sans intérêt s’il ne les appliquait pas si habilement. Mifune montre d’ailleurs tout ce que n’importe quel film (même le plus inintéressant) peut gagner grâce à une lumière sensuelle et à une caméra extrêmement vivante (à cet égard, il évoque un peu les films de Charles Binamé).
Agité et jamais ennuyant, mais vide et sans grande substance, Mifune (qui a inexplicablement remporté un Ours d’Argent au Festival de Berlin) est en un sens l’oeuvre la plus représentative des vertus et limites du Dogme: un film d’auteur signé par un faiseur; une oeuvre dont le style n’est qu’un effet de mode; un objet prétendument artisanal qui semble tout droit sorti de l’usine. Bref, la preuve que l’on peut adhérer au Dogme sans avoir la foi…
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