La Dilettante : Un ange passe…
Cinéma

La Dilettante : Un ange passe…

La Dilettante, le dernier film de Pascal Thomas, réalisateur abonné aux menus plaisirs (Confidences pour confidences; Les maris, les femmes, les amants), est un film qui s’attarde sur le provisoire, sur l’incertain, sur le plaisir du moment.

Dilettante. Dilettante. Ce mot-là est une merveille. Son élégance visuelle et le son chantant lorsqu’il est prononcé (normal, il vient de l’italien) lui vont comme un gant. Avec tout le bagage de petites joies, de farniente et de liberté que cela annonce, le terme dilettante saute au visage dans toute sa splendeur, mais aussi dans toute sa complexité. Il avait disparu du langage, enfoui dans le péjoratif, oublié dans un quotidien qui n’a pas le temps de s’arrêter aux nuances, et où il est préférable de savoir exactement ce qu’on aime, ce qu’on veut et avec l’impératif de s’y tenir! D’où le plaisir de La Dilettante, le dernier film de Pascal Thomas, réalisateur abonné aux menus plaisirs (Confidences pour confidences; Les maris, les femmes, les amants), un film qui s’attarde sur le provisoire, sur l’incertain, sur le plaisir du moment.
Difficile d’en faire le récit, tant il y a peu à dire. Pierrette Dumortier (Catherine Frot) est une femme dans la quarantaine qui quitte d’un seul coup un mari désargenté, la Suisse et une existence établie. Prête à refaire sa vie, elle vient retrouver ses enfants en France, un fils, Éric (Sébastien Cotterot), être peureux et sans couleur qui travaille dans une usine à Bobigny; et une fille, Nathalie (Barbara Schulz), jeune femme qui ne sait pas ce qu’elle veut, coincée dans une famille recomposée très proustienne, entre sa belle-mère (Marie-Christine Barrault), son père et ex-mari de Pierrette (Christian Morin) et un petit copain très riche et très lâche (Vania Plemiannikov). Pierrette débarque comme un cheveu sur la soupe, car ses enfants n’ont pas besoin d’elle. D’ailleurs personne n’a besoin d’elle. Seule sa meilleure amie, Marcelle (Nathalie Lafaurie) sait comment l’accueillir et la soutenir. Pierrette va, sans le vouloir, se frotter aux institutions françaises que sont l’enseignement, la restauration, le commerce de l’art et la prison…
Le film pourrat durer des heures ou seulement un quart d’heure qu’on aurait tout compris dès le début. Peu importe l’histoire, elle ne tient que grâce au personnage central. Et l’on a d’ailleurs du mal à embarquer dans cette impression de vide, de grand rien qui l’entoure. Mais, le temps d’un film, une femme prend corps si fortement et habite l’écran de façon si charismatique, qu’elle nous poursuit jusque dans la rue… En un mot, Catherine Frot est formidable. «Mais le scénario n’a pas été écrit pour moi! explique l’actrice, jointe à Paris. Au début, Pascal Thomas pensait à Catherine Deneuve, je crois, quelqu’un dans la cinquantaine qui pouvait avoir deux grands enfants. Mais je ne sais pas ce qui s’est passé: il a un peu remanié le scénario et le personnage qui s’appelait Catherine s’est transformé en Pierrette! Alors que les actrices apprécient des rôles plus jeunes, je trouvais ça amusant de me sentir un peu plus âgée, d’avoir des enfants. Et puis je n’avais rien à perdre…» Et elle a tout gagné. Le film a été un énorme succès au printemps dernier en France. «Je crois que les gens ont été attirés par le titre: le mot, assez énigmatique, avait besoin de revoir le jour, ajoute l’actrice. Un moment, la production avait pensé le changer et j’ai trouvé cela épouvantable!»
Catherine Frot a donné à Pierrette ce phrasé si particulier, une fantaisie, des angoisses et une certaine préciosité naturelle mêlée de gouaillerie qui séduit sans arrêt depuis Un air de famille, où, en bourgeoise timorée, elle se laissait aller à quelques passes de rock avec Daroussin. «Ce que j’ai aimé dans La Dilettante, ce sont les dialogues, qui ont une qualité un peu classique, et ce personnage d’un autre temps, remarquable, copieux, et profondément libre.» Attentive à la langue et à la diction, Catherine Frot a suivi l’idée de Pascal Thomas qui imaginait sa Pierrette sous l’influence de Louise de Vilmorin: femme de lettres et de Malraux, elle était la quintessence de la grande bourgeoisie parisienne. «Mais Pascal Thomas m’a surtout dit que, quoi quelle fasse, Pierrette ne se créait jamais de soucis, ne s’inquiétait de rien. Elle est la légèreté d’esprit absolu: elle ne subit pas l’attraction terrestre. Et on aimerait, quelques secondes durant, avoir sa capacité de sautiller, sans remords et sans regrets.»
Or, pour être dilettante, donc libre, il lui faut être égoïste et ne pas s’attarder ni regarder en arrière. «Et ses rapports avec sa fille sont monstrueux: on dirait un épisode de Ab Fab!» précise l’actrice. Le film n’est pas si drôle. Si on sourit souvent des bons mots, plus justes que juteux, la comédie reste amère et grinçante. La gorge se noue quand Pierrette craque devant sa fille; et le désarroi est réel quand elle passe devant un miroir, ou derrière une vitre: son image, constamment renvoyée et décuplée, lui rappelle que l’amusement a une durée de vie déterminée, que son temps est bientôt écoulé, qu’elle n’a rien à perdre… Autour d’elle, la vie s’articule sur les pires défauts, la racaille pullule et les couteaux volent bas. Notons la présence d’ Odette Laure, merveilleuse en Tatie Danielle des beaux quartiers. Pascal Thomas semble aussi sceptique que son héroïne est optimiste. Par petites touches, et seulement quand Pierrette y est confrontée, il écorche les travers de la grande bourgeoisie, de la justice, de l’art, et de la religion avec sarcasme. Et sa férocité est plus cinglante que jamais.
«Beaucoup de femmes m’ont approchée pour me dire que ce personnage leur avait fait du bien, et les soulageait!» s’étonne encore Catherine Frot. Mais Pierrette Dumortier est unique au cinéma. Presque surréaliste, elle sort tout droit d’un livre de Marcel Aymé, comme si elle était un mélange féminin d’Alexandre le Bienheureux et de Casanova. À la fois bonhomme et lucide. Impeccable dans ses vêtements chic mais surannés, à l’aise avec tous les codes sociaux et dans tous les milieux, elle est une Mary Poppins désenchantée, parachutée en Île-de-France. Pour une comédienne de théâtre comblée, pour une actrice qui rêve d’interpréter Maame de Sévigné («Mais il n’y a pas de quoi faire un film!»), et qui aurait aimé jouer dans un film de Bresson («Mais c’est raté.»); ce rôle est une autre façon de grandir, de «maintenir un certain cap».
Comédie française dont on ne sait pas s’il faut en rire ou en pleurer, étude humaine pas si fine mais pas du tout épaisse: La Dilettante a quelque chose d’irréel et de non achevé. Mais on passerait à côté si l’on n’y voyait que la critique de moeurs habituelle, au verbiage français un peu désuet. Mais il est vrai que le dilettantisme est un papillonnage difficile à saisir…
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