Les Siamoises : Soeurs de sens
Cinéma

Les Siamoises : Soeurs de sens

Isabelle Hayeur occupe une place à part dans le cinéma québécois. Dans une production locale de moins en moins marquée par l’esprit d’aventure et l’audace, la cinéaste développe un univers tout à fait original, où la fantaisie, l’esthétisme et le symbolisme n’empêchent pas une réflexion sur la société et la nature  humaine.

Isabelle Hayeur

occupe une place à part dans le cinéma québécois. Dans une production locale de moins en moins marquée par l’esprit d’aventure et l’audace, la cinéaste développe un univers tout à fait original, où la fantaisie, l’esthétisme et le symbolisme n’empêchent pas une réflexion sur la société et la nature humaine. Après Londeleau, son premier court métrage, La Bête de foire, long métrage dans lequel une femme gardait un homme encagé, faisait déjà preuve d’une écriture assurée, d’un sens du drame et de la cruauté, et d’une lucidité énergique qui annonçaient l’arrivée d’une véritable auteure.
Dans Les Siamoises, Isabelle Hayeur continue à explorer et à renouveler sa vision d’un monde où l’espoir et la douleur, le privé et le social, la révolte et l’enfermement luttent constamment. Ici, ce conflit perpétuel s’incarne dans deux soeurs (à moins qu’il ne s’agisse d’une seule et même personne…) à la veille de leur majorité, qui habitent dans un HLM expérimental dont les résidants sont surveillés jour et nuit, et qui vivent sous l’influence de «psychocosmétiques» réglant leurs humeurs et leurs désirs. L’une veut rester; l’autre, s’enfuir. L’une veut plaire; l’autre, s’affirmer. L’une fige; l’autre fonce: deux facettes indissociables d’une même personnalité.
Variation en mineur du Meilleur des mondes, Les Siamoises affiche clairement ses références, de 1984 au roman d’Aldous Huxley, en passant par Kafka et David Cronenberg. Apparemment onirique, cet univers claustrophobique, qui navigue entre le réalisme et la science-fiction, l’humour noir et la théâtralité, n’est pas sans rappeler celui du réalisateur d’eXistenz. Mais là où Cronenberg s’attache au virtuel, aux entrailles et à l’horreur, Isabelle Hayeur sonde également les rouages sociaux, le corps et la révolte. Pas étonnant qu’elle se dise fascinée par l’adolescence, cet âge euphorique et douloureux où toute opinion, toute sensation, tout sentiment est poussé à son paroxysme.
Qu’elle ait été choisie pour des raisons artistiques ou fnancières (peut-être les deux?), l’image vidéo confère à ce film moins futuriste qu’il n’en a l’air un cachet de réalisme qui renforce son propos, en en faisant un «téléroman d’auteur», un objet tout à la fois familier et étrange. Si l’interprétation est parfois inégale (naturalisme télévisuel et caricature ne font pas toujours bon ménage), Isabelle Blais, en jeune fille révoltée, et Dominique Quesnel, en mère déboussolée, sont excellentes, dans ce film d’une cinéaste à suivre de près.

À la Cinémathèque québécoise
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