Vues d'Afrique : L'appel du large
Cinéma

Vues d’Afrique : L’appel du large

Faisant coexister tradition et modernité, comédie et drame, regards multiples et parfois contradictoires, les 16es Journées africaines et créoles témoignent d’un continent aussi vaste qu’irréductible. À vous de l’explorer

En 2000, que voit-on de l’Afrique dans les médias et sur les écrans, petits et grands? Hormis des enfants affamés ou armés, des terres désolées ou sillonnées par des zèbres, pas grand-chose. Entre les famines et les safaris, existe tout un continent un peu plus connu (et montré) qu’avant, mais encore trop souvent réduit à quelques images dantesques ou paradisiaques. Depuis 16 ans, avec les Journées africaines et créoles, Vues d’Afrique propose des images inédites, visions de l’intérieur, alternatives salutaires à ces regards réducteurs qu’on voit trop souvent de ce côté-ci de la planète.
Sans faire l’autruche, la programmation 2000 semble vouloir mettre l’accent sur des aspects moins spectaculaires d’un continent aussi vaste qu’irréductible. On retrouve, bien sûr, des documents sur la guerre, la pauvreté, le sida (véritable scandale du 21e siècle, avec ses milliers de victimes qui meurent dans le silence); mais, pour ne citer qu’un exemple, la coexistence souhaitable, et parfois douloureuse de la tradition et de la modernité est au coeur de nombreux films. En fait foi Barbecue-Pejo, un des onze longs métrages (huit d’entre eux viennent d’Afrique du Nord) en compétition. «La tradition, c’est pas ça qui va nous donner à manger», lance un personnage de cette comédie du Bénin, énergique et efficace. Écrit, réalisé, et mis en musique par Jean Odoutan, Barbecue-Pejo suit les déboires d’un père de famille qui, après avoir vendu son champ de maïs, achète, à prix d’or, la Peugeot pourrie d’un Français, dont le moteur deviendra un moulin à farine, puis un barbecue. Belle métaphore du système D, de l’exploitation de l’Afrique par l’Europe, et de la réappropriation de la tradition. Un film réjouissant, avec des dialogues hilarants, et une formidable comédienne, Laurentine Milebo, qui a un bagout d’enfer à la Josiane Balasko.
Dans un registre plus poétique, Keïd Ensa (Ruses de femmes, ou le conte de la fille au basilic), de la Marocaine Farida Benlyazid, détourne un conte pour en faire une able sur les rapports hommes-femmes, dans laquelle la fille d’un marchand et le fils d’un sultan s’affrontent, l’une usant de sa ruse, l’autre, de sa force. Dépaysement assuré, avec palais des Mille et Une Nuits, intrigues, déguisements, jardins fleuris, fontaines chantantes, riches étoffes et musiques exotiques. Mais sous ses airs de conte traditionnel, Ruses de femmes prend aussi position pour la moitié du monde, dans un pays où, bien qu’officiellement démocratique, les pères ont encore droit de regard sur leurs filles, et les maris, sur leurs épouses…
Beaucoup plus sombre, Passage du milieu, du Martiniquais Guy Deslauriers, évoque les dix-huit semaines de la traversée transatlantique d’un navire négrier, en 1810. Une réalisation sobre, des images superbes de Jacques Boumendil, et une narration prenante de Patrick Chamoiseau, lue par Maka Kotto, pour un film qui a de la classe. Quant à La Maison d’Alexina de Mehdi Charef, cinéaste jadis prometteur (Thé au harem d’Archimède), on a affaire à un mélo bourré de bons sentiments. Cette histoire d’enfants à problèmes, tous mignons comme dans une pub de céréales, recueillis par une jeune et jolie psychologue, dans une belle et grande maison, accumule tant de clichés qu’on a très vite envie de faire l’école buissonnière…

D’hier à demain
Parmi les nombreux courts et moyens métrages présentés, signalons Boudiaf, un espoir assassiné, de Malek Bensmaïl et Noël Zuric, sur le meurtre de celui qui fut président de l’Algérie pendant seulement six mois; ainsi qu’Angélique, du Canadien Michael Jarvis, sur le procès d’une esclave noire accusée, en 1734, d’avoir voulu faire brûler Montréal! Quant au court métrage de fiction Pressions, de Sanvi Panou, malgré un bon départ (une vieille Parisienne hagarde veut payer un billet d’avion à un Africain pour qu’il retourne «chez lui»), le film s’égare et les acteurs sonnent faux. Par contre, Trois Fables à l’usage des Blancs en Afrique, de <>Claude Gnakouri et Luis Marques, rassemble trois courts métrages savoureusement cruels sur le fossé entre Africains et Occidentaux.
Signe des temps: on retrouve une vingtaine de réalisatrices dans la programmation 2000. Devant ou derrière la caméra, les femmes prennent de plus en plus de place, dans la fiction (Hush Little Baby, d’Adeola Folarin) comme dans le documentaire (Un rêve d’indépendance, de Monique Phoba), dans le politique (Doit-on juger Duvalier? Réconciliation ou justice?, d’Elsie Haas) comme dans la légèreté (La Coiffeuse de la rue-piéton, d’Isabelle Boni-Claverie).
À cet égard, un des films les plus emblématiques est Secret de femmes, de Jean-Claude Cheyssial. Il y a deux fois plus de femmes que d’hommes au Gabon. Parmi celles-ci, on retrouve les «tradipraticiennes», guérisseuses à mi-chemin entre la médecine par les plantes, la spiritualité, le spiritisme et la psychanalyse. Ce fascinant documentaire montre quelques-unes de ces femmes qui véhiculent la tradition, mais qui ont les yeux rivés sur l’avenir. Rites initiatiques, danses, chants, transes, maquillages et incantations: on est en plein mythe. Mais derrière ces images-chocs d’une Afrique fantasmée, on trouve des femmes modernes, extrêmement lucides, au discours très cohérent, ne se réfugiant jamais derrière le mystère de leurs pratiques. Il faut voir la présidente de l’association des tradipraticiennes entrer en transe, possédée par l’esprit d’un des ancêtres, afin de guérir l’épouse d’un ministre d’une insomnie incurable; puis, le lendemain, à son bureau, expliquer calmement sa démarche, sa vision de l’Afrique, et la place primordiale qu’y occupent les femmes. Ces maîtresses femmes incarnent quotidiennement la tradition et le modernisme, courroies de transmission entre hier et demain.
Même réconciliation du passé et du futur dans Warbassanga, de Maïmouna N’Diaye, qui trace le portrait de la chorégraphe sénégalaise Blandine Yaméogo. De la danse traditionnelle à la dane contemporaine (elle collabore avec Mathilde Monnier, et incarna Antigone dans une de ses pièces), Blandine Yaméogo décrit son parcours pas évident, et démolit au passage quelques clichés, comme celui du «Noir qui a la danse dans le sang». «J’étais peut-être douée pour apprendre la danse, dit-elle, mais je ne suis pas née avec: je l’ai apprise.»
À l’instar de la chorégraphe, les Journées africaines et créoles remettent quelques pendules à l’heure, témoignent de réalités multiples, provoquent des débats et suscitent le dialogue. Bon cinéma!
Du 11 au 16 avril
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