En face : Film à clés
Cinéma

En face : Film à clés

Premier long métrage de Mathias Ledoux, un réalisateur télé chevronné, En face est un thriller d’ambiance, un film noir où l’amour et la vengeance croisent le fer, et qui évoque autant Rebecca que Rosemary’s Baby.

Quand, dans un générique, figure le nom d’un serrurier (ici, Fernando Calderon), ça donne une idée du type de film qu’on va voir. Clés perdues et retrouvées (concrètes ou symboliques), pièces interdites et portes qui s’ouvrent sur l’inconnu, espionnage et voyeurisme par le trou de la serrure: En face, de Mathias Ledoux, affiche d’emblée ses couleurs. Premier long métrage d’un réalisateur télé chevronné (variétés, clips, magazines, documentaires depuis vingt ans), En face est un thriller d’ambiance, un film noir où l’amour et la vengeance croisent le fer, et qui évoque autant Rebecca et Rosemary’s Baby que L’Appartement, de Mimouni.
Michelle (Clotilde Courau) et Jean (Jean-Hugues Anglade) s’aiment depuis sept ans. Elle est vendeuse chez un grand fleuriste; il est écrivain, en panne d’inspiration après un premier roman à succès. Alors qu’ils songent sérieusement à déménager de leur petit appartement de Montmartre, le voisin d’en face, richissime handicapé, leur lègue son hôtel particulier, à la condition qu’ils y conservent ses papiers, et qu’ils gardent à leur service Clémence (Christine Boisson), servante dévouée et énigmatique. Le cadeau, fait «au nom de l’amour et de la jeunesse», sera bien sûr empoisonné…
Quand on s’attaque au film de genre, on a deux choix: suivre les règles qui le régissent à la lettre; ou mettre de l’eau dans son vin, et faire dans le second degré. Ici, Mathias Ledoux suit religieusement, et avec délectation, les chemins empruntés par Hitchcock, Polanski et et leurs nombreux disciples. Le jeune couple amoureux du début tombera dans la suspicion, la jalousie, l’envie, et toutes sortes de sentiments troubles auxquels Cupidon n’avait pas pensé. Fausses pistes, indices cachés et coups de théâtre: les développements du scénario de Valérie Guignabodet sont tordus à souhait, nous laissant tantôt surpris, tantôt complètement perdus. D’une importance capitale dans ce genre d’histoire, les décors sont exploités au maximum, de la masse blanche t imposante du Sacré-Coeur, à cette demeure cossue aux multiples recoins, personnage à part entière qui aura raison de l’innocence, zone d’ombres et de lumières qui a sa propre vie. Sans parler des planchers qui craquent, des murs qui ont des oreilles, et des fusibles qui sautent à tout bout de champ…
Plus mûre, tantôt fragile, tantôt inquiétante, Clotilde Courau est surprenante; Anglade est égal à lui-même, d’une sensibilité qui cache une part de mystère; tandis que Christine Boisson (excellente comédienne, par ailleurs) hérite d’un rôle caricatural, celui convenu d’une femme austère, qui est, en réalité, une bombe sexuelle. Ce personnage, variation moderne de la Mrs. Danvers dans Rebecca, fait presque basculer le film dans le grand-guignolesque.
Appuyé par la remarquable direction photo de Stéphane Leparc et la musique envoûtante de Gekko, Mathias Ledoux mène le spectateur en bateau, exerce sa manipulation avec doigté, fait du voyeurisme la clé de voûte de son film, et nous offre un plaisir devenu rare à l’ère de l’action toute-puissante et du prédigéré: le suspense. «Film de peur» à l’enrobage sophistiqué, En face mêle frissons et sensualité, et renoue avec cette délicieuse sensation de ne pas savoir ce qui va se passer. Du bon «cinoche».y

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