Pas un de moins : À dure école
Cinéma

Pas un de moins : À dure école

Parabole simple en forme d’apprentissage: ZHANG YIMOU signe une oeuvre réaliste, directe et solide. Sans être magistral, Pas un de moins est le film d’un réalisateur en quête d’authenticité.

Une fillette essaie de calquer son pas sur celui, plus rapide, d’un adulte dans un chemin empierré. Elle est décidée à ne pas se laisser distancer. Ces premiers plans résument à eux seuls le propos de Pas un de moins, le dernier film de Zhang Yimou: une histoire de témérité et d’opiniâtreté. L’adolescente de 13 ans, héroïne du film, s’appelle Wei Menzhi. Elle joue la remplaçante de l’instituteur Gao (Gao Enman) dans un village reculé du coeur de la Chine. Le maître d’école doit partir pour un mois au chevet de sa mère mourante. Le maire du village (Tian Zhenda) ne trouve que Wei pour faire l’école à 28 enfants, bouilles rondes entassées dans une cabane en planches. Elle s’improvise institutrice, avec la promesse d’un maigre salaire, une seule comptine à leur apprendre, une craie par jour et la mission de ne pas perdre un seul élève. Décrochage zéro: la mission semble impossible dans une Chine rurale pauvre et endettée. Quand le coq de la classe, un fanfaron d’une dizaine d’années, Zhang Huike, décide d’aller en ville pour gagner des sous, Wei part à sa recherche.

Yimou, surnommé réalisateur de la paysannerie et hérault de la nouvelle vague cinématographique chinoise; celui qui a lancé, puis lâché, Gong Li dans le monde, a maintenant 50 ans. Il n’a plus à prouver quoi que ce soit, et il ne fait plus de vagues. Certains disent qu’il a même perdu des plumes depuis qu’il ne dirige plus son actrice fétiche. Pour ce film, qui a gagné le Lion d’or à Venise en 1999, on lui reproche une facture trop simpliste et un happy end incroyablement heureux. Mais après 1 heure trente d’aridité, de pauvreté et de tristesse, le soulagement est bienvenu… Zhang Yimou a réussi un film tranquille, posé et, il est vrai, de facture encore plus classique que ses précédents, mais néanmoins touchant.

Après un coup de coeur pour le livre de Shi Xiangheng, Yimou, fils d’une enseignante de campagne, a choisi d’aller à la pêche aux «émotions vraies» et, pour cela, il a réuni les éléents de base: petit village éloigné, enfants qui n’avaient jamais vu une caméra de leur vie, et acteurs non professionnels. Car tous les personnages romancent (à peine) leur propre vie et ont gardé leur nom. Yimou a caché la caméra le plus possible, et, d’après le dossier de presse, il veillait même à ce que la petite Wei fasse ses devoirs tous les jours! Pas un de moins est autant une oeuvre de fiction qu’une aventure sociale; une démarche similaire à celle de Tavernier abordant le même problème dans Ça commence aujourd’hui.

Il est facile de renvoyer le sujet, et sa façon de l’aborder, au néo-réalisme en général, et au Voleur de bicyclette en particulier. On retrouve dans Pas un de moins, ce même poids de pauvreté et d’ignorance, cette chape de plomb qui pèse sur tout, sur tous, tout le temps. Et on regarde encore, interloqué, des enfants laissés à eux-mêmes, à qui l’on parle comme à de petits adultes, qui se couchent sur du bois dans un réduit derrière la salle de classe, qui bâtissent un trésor d’une craie blanche et qui se partagent, respectueusement, deux canettes de Coke. Ils ont encore les fous rires de l’enfance, mais déjà le mutisme et l’endurance des adultes.

Pas un de moins ne tombe pas dans la sensiblerie filiale de Central do Brazil, mais, de la même façon, il est construit en deux temps. La première partie, rurale, campe les caractères (la ténacité de cette trop jeune institutrice à peine plus instruite que ses élèves, l’effronterie de Zhang Huike, l’admiration du maire). Une curiosité tranquille et un ennui agréable s’installent: les visages rubiconds des petits, le rose aux joues de l’excellente Wei, facilement intimidable, et les paysages écrasés de soleil qui font de ce village chinois le symbole de tous les bleds paumés, de la Sicile au Mississippi.

Et le film s’ouvre comme une fleur dès que Wei débarque en ville. Catapultée dans un monde urbain évidemment insensible, la jeune fille devient un modèle de persévérance et de force de cractère. Yimou insiste sur le côté paresseux et égocentrique de la cité: chaque personne que Wei rencontre est un maillon du tissu social qui a oublié décence, politesse et entraide. Wei force la communication et entreprend de retrouver la trace du fugueur par une annonce radio (infructueuse), des affiches (littéralement balayées) et par la télévision, qui, ne faisant jamais les choses à moitié, résout le problème et propulse Wei en star instantanée, dans une des scènes les plus émouvantes du film.

Symbolisme facile sur la non-communication et l’importance de l’entraide? Sempiternelle image de la pauvreté digne? Critique convenue des médias? Peut-être. Mais qu’importe: la sincérité de la démarche est solide et le souci esthétique, évident.
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