Love's Labour's Lost : La danse des canards
Cinéma

Love’s Labour’s Lost : La danse des canards

Kenneth Branagh , la quarantaine leste mais la quarantaine tout de même, en train de jouer les jolis coeurs, en pantalon bleu ciel extensible avec chaussures de danse assorties: ça vaut le coup d’oeil. Faut le voir pousser la chansonnette (Cheek to Cheek, d’un filet de voix) et tenter d’imiter Gene Kelly… It’s  Brigadoon!

Kenneth Branagh

, la quarantaine leste mais la quarantaine tout de même, en train de jouer les jolis coeurs, en pantalon bleu ciel extensible avec chaussures de danse assorties: ça vaut le coup d’oeil. Faut le voir pousser la chansonnette (Cheek to Cheek, d’un filet de voix) et tenter d’imiter Gene Kelly… It’s Brigadoon! En le regardant, on se souvient que l’arabesque demande travail et talent et que ce n’est pas à la portée de tous. Qu’importe, s’est dit Kenneth en transformant Love’s Labour’s Lost (Peines d’amour perdues) en comédie musicale: William Shakespeare excuse tout; l’adaptation, ça me connaît, et le ridicule ne m’a pas encore tué. Attention, mon petit Kenneth, attention…
La pièce est mineure mais alambiquée. Shakespeare y a multiplié les amoureux et les embûches de façon quasi absurde. Trois jeunes gens (Matthew Lillard, Adrian Lester et Kenneth Branagh) et le roi de Navarre (Alessandro Nivola) font le voeu de poursuivre leurs études durant trois ans sans approcher une femme. Pas de chance, la princesse de France (Alicia Silverstone, plus vulgaire que Ginger Rogers) débarque avec ses trois suivantes (Emily Mortimer, Carmen Ejogo et Natascha McElhone). Les garçons sont perturbés et les filles, coquettes. Une nuit d’échangisme salutaire et une bonne séparation rectifient le tir, et les amoureux gagneront leurs belles.
Branagh a eu raison: l’ambiance sexy et ludique de la pièce se prête merveilleusement aux années 30. Top Hat, The Band Wagon et autre Gay Divorcee reviennent en mémoire quand les jupons d’organza s’envolent sur les airs les plus connus de Cole Porter, d’Irving Berlin et de George Gershwin. Les héros se pâment sur la photo de leur dulcinée dans un décor de carton-pâte, et les femmes portent crânement le chapeau sur l’oeil comme dans Casablanca. On adore ça. Le verbe est beau; certaines images, comme des barques illuminées sur un canal, sont romantiques à souhait; et les moments très slapstick ne manuent pas: Timothy Spall en Espagnol loufoque rappelle Michael Keaton en paysan déjanté, dans Much Ado About Nothing. L’opération est donc encore une fois réussie: Shakespeare fonctionne sous toutes les époques et dans tous les registres.
Mais on supporte difficilement l’amateurisme, même quand cela est voulu. À force de les entendre tous massacrer de suaves mélodies et de les voir sauter sur le parquet avec une grâce de batraciens, on rêve de Fred Astaire avec délice et on se demande quelle mouche donc a piqué l’adaptateur en chef: snobisme mal placé (on va faire semblant, ça va être charmant!) ou manque de temps pour s’entraîner convenablement? Toujours est-il que ça danse très mal, ça chante très mal, et ça perturbe toute appréciation. Impossible de croire au moindre sentiment amoureux! Nathan Lane peut remercier Broadway: il est le seul à savoir poser son corps et sa voix de façon crédible.
Si on comprend le côté comédie romantique toscane de Much Ado About Nothing, on saisit mal par la portée de cette chose. Comme si ce Love’s Labour’s Lost avait été conçu pour des gens qui n’existent pas: ceux qui aiment Shakespeare n’en ont pas besoin, ceux qui n’aiment pas la comédie musicale s’en foutent royalement et ceux qui l’adorent, détestent l’à-peu-près. Attention, mon petit Kenneth…

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