Virginie Despentes – Baise-moi : Madame sans-gêne
Cinéma

Virginie Despentes – Baise-moi : Madame sans-gêne

Avec le film Baise-moi, VIRGINIE DESPENTES passe pour une sorcière. Rencontre avec une femme amusante, une féministe acharnée et une artiste qui veut exister.

Une visite de quelques jours au Festival de films de Toronto, avant de passer par Montréal, et Virgine Despentes croule sous les entrevues. On veut voir et on veut savoir à quoi ça ressemble, une fille capable de "ÇA". Capable de Baise-moi, le livre violent comme une claque où deux filles butent et baisent sans vergogne; et capable du film tout aussi cru tiré du roman, qui fait trembler la loi sur la censure en France. Sorti puis retiré, on en parle, on veut le voir. Et Virginie Despentes accepte la nuée médiatique: "C’est hyper-agréable de se faire interviewer! Ici, les gens n’ont pas du tout la même attitude que chez moi. On me pose des questions sur les comédiennes, sur la musique, sur la lumière, sur le film, quoi. En France, c’était uniquement sur le scandale. Peut-être qu’on est moins impressionnable ici", dit-elle avec un petit rire gêné. Voix gouailleuse, un peu enfantine. Réponses courtes et intelligentes. Elle est tout entière à la promotion d’un film à scandale qui a coûté environ 2 millions $ et dont les ventes mondiales se chiffrent à près de 900 000 $.

Les Français pédalent. Il y a surchauffe: voici un film d’auteur pornographique, féministe et guerrier. Autant dire un ovni. On voit des femmes à quatre pattes, mais aussi des femmes qui se tiennent debout. Du X qui porte à réfléchir, on met ça dans quelle case? "Avec Baise-moi, la loi sur le X va certainement être remise en question dans le courant de l’année, lâche laconiquement Despentes. Si on nous colle un moins de 18 ans et qu’on oublie le X, ce sera une avancée." Mais la France s’est sentie sale. Étonnant de la part d’un pays qui porte le sein haut sur les pubs et sur les plages. "J’ai eu des réactions agressives de la part des femmes, mais quand on s’explique, elles se calment vite. À part une journaliste du Figaro qui nous a traitées de fascistes… Mais avec les mecs, ça s’arrange pas! Il y a un refus total. Que ça vienne de gauche, de droite, de jeunes ou de vieux, ils nous traitent de mal baisées, de profiteuses du système, et même de sorcières. Pour les gars, on est diaboliques! C’est vraiment étrange comme réactions, surtout que dans le tas, il doit y en avoir qui vont aux putes et qui louent des films de cul… Ce sont des attaques auquelles on ne s’attendait pas, avoue-t-elle. C’est sûr que pour toutes les quatre (Coralie Trinh Thi, coréalisatrice; Karen Bach et Raffaëla Anderson, les deux actrices, toutes les trois du milieu du X), ç’a été un rude coup. On va voir maintenant si ça va nous endurcir! lâche-t-elle avec un petit rire.

Originaire de Nancy, Virginie Despentes a 32 ans. Elle a eu une adolescence ludique, mais rebelle. "En gros, je crois que je ne suis pas facile. J’ai mauvais caractère." Réactions familiales face à cette sulfureuse notoriété: "Une sorte de fierté, je crois… Ils sont embarrassés, mais ils trouvent ça plutôt rigolo. Et c’est mieux que de ne pas avoir de travail." Au milieu des petits boulots, elle a écrit Baise-moi en trois semaines, à l’âge de 23 ans. Le livre met deux ans à trouver un éditeur et l’auteure trouve ça normal. Trop culture underground. "Je comptais en vendre 500 ou 600, et depuis le film et tout ce bordel, on en est à plus de 100 000 exemplaires" On parle d’adaptation, mais les projets échouent. Après une rencontre avec Coralie ("Elle a tout de suite embrayé, ce qui était inconcevable pour plusieurs, ne l’était pas pour elle"), les pétroleuses remarquent Karen et Raffaëla dans Exhibition 1999, de John B. Root, un documentaire où 10 actrices du porno se racontent. À partir de juin 99, tout se fait très vite. Pas facile d’écrire à deux. Et Virginie rappelle encore qu’elle a mauvais caractère. "Mais on s’est confortées, on a tout fait ensemble, sans prise de bec. On était d’accord sur la base: sexe explicite, lumière naturelle et violence." Caméra numérique, images glauques, le rendu esthétique a quelque chose de danois. "Après Festen et Les Idiots, c’était très tentant. Avant j’avais fait deux courts, et j’avais souffert du poids du cinéma: je ne contrôle pas du tout la lumière, trop long à régler… Dans Baise-moi, la caméra est légère, et la musique (hardcore, orchestrée principalement par Varou Jan) a influencé tout le reste."

Sortir du ghetto
En regardant Baise-moi, il est clair que pornographie égale violence. "Oui… Mais je ne m’étais jamais posé la question (!). Dans l’intimité, il peut exister une pornographie amoureuse…, réfléchit-elle tout haut. Mais telle que je la vois, oui, c’est violent." Virginie Despentes a les idées claires: elle ne veut pas traîner "les vieux modèles de pensée, porter une culpabilité et des fardeaux qui ne sont pas ceux des femmes. Je ne veux pas banaliser la porno, elle l’est déjà; je veux la sortir du ghetto, des sex-shops, du domaine masculin". Pour elle, la fiction est puissante, "même si un film n’a jamais rien inventé, socialement ou politiquement. Il n’est que le compte rendu des choses". On peut donc tout montrer sur un écran… Alors pourquoi pas un gamin qui se fait tirer, comme à la fin de son livre? "Ça ne m’intéressait pas de travailler avec un enfant. Et on a raison de les protéger. De toute façon, on devrait aussi leur interdire de faire de la pub, déclare simplement Despentes, en vraie dégoûtée de la publicité. L’insoutenable, j’aime pas trop, mais c’est toujours intéressant de se confronter à ses propres terreurs." Celle qui dit aimer Autant en emporte le vent (parlant d’esclavagisme…), et certains films de Pialat, de Ferrara et de Scorsese, se dit complètement indifférente à la production française de l’heure, à part les films de Gaspar Noé et ceux de Catherine Breillat (et encore, il y manque du souffle et de l’émotion!). Quand sera retombée la poussière, Virginie Despentes s’attellera à son quatrième roman (après Baise-moi, Les Chiennes savantes et Les Jolies choses). Étonnée elle-même, mais confiante, elle commence à se dire qu’elle a le droit d’être là. Même si on lui crache encore le contraire en plein visage.

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