Urbania – John Shear : L'homme dans la ville
Cinéma

Urbania – John Shear : L’homme dans la ville

Un ami m’a dit qu’un copain lui avait raconté que… Ça se poursuit avec l’histoire du type qui, après avoir passé la nuit avec une inconnue, lit, sur un miroir, écrit au rouge à lèvres: Bienvenue dans le club des sidéens.

Un ami m’a dit qu’un copain lui avait raconté que… Ça se poursuit avec l’histoire du type qui, après avoir passé la nuit avec une inconnue, lit, sur un miroir, écrit au rouge à lèvres: Bienvenue dans le club des sidéens. Ou bien l’histoire d’un autre qui, drogué à son insu, se réveille avec un rein en moins. Tout le monde a entendu au moins une de ces légendes urbaines, composites de rumeurs et de faits divers, cristallisant des peurs ancestrales, souvent liées au sexe et à la mort…

Urbania démarre par une suite de vignettes sur ces histoires à mi-chemin entre l’affabulation et la réalité, toutes reliées à Charlie (Dan Futterman, excellent), un New-Yorkais qui vit à la frontière entre deux mondes, alors que son amant n’est plus là. Est-il parti? A-t-il disparu? Est-il mort? Le premier film de John Shear, comédien depuis dix ans (Angels in America, Six Degrees of Separation, sous le nom de Jon Matthews), déroule son intrigue à la manière de la carte d’une ville inconnue, empruntant des détours, suivant des chemins de traverse avec une aisance et une assurance remarquables chez un cinéaste néophyte.

"Comme acteur, je me suis toujours intéressé à l’ensemble, au rythme d’une pièce", explique John Shear, rencontré alors que son film faisait l’ouverture du festival Image & Nation. "Je suis un junkie du rythme! Le plus important est de trouver celui qui convient naturellement à l’histoire qu’on raconte." Tiré d’une pièce de Daniel Reitz, Urbania a été écrit par le dramaturge et le cinéaste, et tourné en 18 jours, avec un budget de 225 000 $! Une situation d’urgence qui a pu porter fruit grâce à la connaissance intime que le réalisateur avait de son matériau. En effet, il a tenu le rôle de Charlie pendant deux ans sur les planches new-yorkaises. "J’ai abordé la réalisation comme j’aborde un rôle: énormément de préparation, et après, il faut suivre son instinct."

Film noir qui assume et intègre ses influences, Urbania est un exercice de style impressionnant, aussi virtuose qu’émouvant, un voyage au coeur de la cité, qui déroute et envoûte. Passant de la cruauté à la compassion, et dressant le portrait cubiste d’un homme confronté au deuil et à la survie, Urbania n’est pas sans rappeler les films d’Atom Egoyan. "J’aime beaucoup ses films. Je suis attiré par les structures cool et les émotions primales! J’aime ce qui stimule les deux parties du cerveau: pendant que le côté intellectuel met les pièces du puzzle en place, le côté émotif oublie de se protéger…"

Des voisins qui font l’amour bruyamment, et que Charlie accoste dans un restaurant; un ami séropositif (Josh Hamilton), qui est peut-être un ex; un beau bum hétéro (Alan Cumming), qui joue avec le feu; un clochard (Lothaire Bluteau), dont on n’apprendra rien: on ne sait jamais très bien, dans ce film qui brouille les cartes, à qui on a affaire. Une ambiguïté revendiquée par Shear, jusque dans le statut de son film, proclamé par certains critiques américains comme étant "le meilleur film gai de l’année". "C’est un peu réducteur comme définition, et c’est une solution de facilité. À cause de sa structure, mais aussi du sujet, c’est un film qui se construit dans la tête de chaque spectateur. Urbania est passé dans autant de festivals "réguliers" que de festivals gais. Avoir refusé de le présenter dans des festivals gais aurait été nier un aspect important du film, et c’est sa nature même que d’être perçu différemment d’une personne à l’autre. Le cinéma gai a ses stéréotypes, mais c’est un signe de maturité qu’il y ait de plus en plus de films comme le mien, qui intègrent cet aspect à une histoire plus large."

Avec deux films en tête, l’un adapté d’un livre de Henry James, l’autre, d’une pièce de 1880 traitant de la sexualité des adolescents, John Shear a la piqûre du cinéma. Bonne nouvelle pour les cinéphiles.

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