The Exorcist : Le diable au corps
Cinéma

The Exorcist : Le diable au corps

Warner ressort The Exorcist dans les salles obscures, vingt-trois ans après sa création. Cette "version que vous n’avez jamais vue", dixit la pub, inclut onze minutes d’images inédites.

Le DVD est un cadeau de Dieu pour les cinéphiles. Mais il a aussi donné naissance à une véritable calamité: l’"édition spéciale". Tous les films, maintenant, sortent dans une version remontée, même les pires navets. C’est ainsi que la semaine dernière, on pouvait retrouver dans certains vidéoclubs Supergirl, the Director’s Cut (pas de farce…). Bientôt, si ça continue, on nous sortira une version spéciale de Police Academy 4, avec commentaires du réalisateur, scènes inédites et analyse historique.

Heureusement, cette fièvre a aussi de bons côtés: comme pousser la Warner à ressortir The Exorcist dans les salles obscures, vingt-trois ans après sa création. Cette "version que vous n’avez jamais vue", dixit la pub, renferme onze minutes d’images inédites, dont une brève conversation entre les prêtres Karras et Merrin (censée ajouter une profondeur philosophique au film); une visite de Regan (Linda Blair) à l’hôpital, et la fameuse "marche de l’araignée", une scène particulièrement terrifiante où la petite possédée descend un escalier à quatre pattes, le dos arqué et la bouche remplie de sang. Des suppléments, soit dit en passant, déjà inclus dans le DVD, mais qui sont ici intégrés dans le corps même du long métrage, à la demande du producteur/scénariste William Peter Blatty, qui n’a jamais digéré les coupes effectuées par le réalisateur William Friedkin

Soyons francs: techniquement, The Exorcist est un film préhistorique. Comparativement aux pirouettes virtuelles des drames d’horreur contemporains, les effets spéciaux du film de Friedkin font piètre figure. La scène où la tête de Regan fait trois cent soixante degrés, par exemple, qui a tant fait trembler les spectateurs en 1977, est aujourd’hui risible. On croirait assister à un (mauvais) spectacle de marionnettes. Idem pour les scènes de vomi, qui sentent la soupe aux pois Habitant… Bref, beaucoup d’hémoglobine a coulé sous les ponts au cours du dernier quart de siècle. Mais cinématographiquement, The Exorcist n’a toujours pas d’équivalent. Le réalisateur de French Connection tourne les scènes d’horreur comme s’il s’agissait de poursuites dans les rues de New York, avec un réalisme qui donne froid dans le dos. Pas de délires surréalistes à la Ken Russell ou d’esthétisme baroque à la Mario Bava/Dario Argento; mais une approche sociologique qui rappelle les meilleurs films des années soixante-dix (Serpico, Dog Day Afternoon).

Ce ne sont pas tant les lévitations démoniaques qui intéressent le réalisateur que les angoisses des personnages côtoyant la petite possédée: le prêtre à la foi vacillante, la mère divorcée rongée par le remords, les médecins confrontés aux limites de leur science, le détective qui cherche vainement la vérité… The Exorcist est la chronique d’une communauté aux prises avec ses démons intérieurs. Un portrait saisissant (et superbement photographié) d’une Amérique ébranlée par la révolte des jeunes, le réveil sexuel des femmes, l’éruption de violence dans la culture populaire et l’érosion de ses institutions (police, clergé, famille). Une société qui se rend compte que le Mal ne loge pas ailleurs, dans l’espace ou en Transylvanie, mais dans son sein, dans ce qu’elle a de plus pur, de plus précieux: la famille.

Film d’horreur, donc? Plutôt mélo sociologique. L’histoire d’une mère qui assiste, impuissante, à la déchéance morale de sa fille. Peyton Place rencontre L’Herbe bleue

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