Two Thousand and None : La mort aux trousses
Cinéma

Two Thousand and None : La mort aux trousses

Le personnage principal de Two Thousand and None a un deuil assez capital à vivre: le sien.

Dans Le Monde selon Garp, John Irving parle du deuil comme d’une période où notre vision des choses devient plus nette, les semaines et les mois qui passent ramenant le vague et la perception floue qui prévalent parmi les vivants… Le personnage principal de Two Thousand and None a un deuil assez capital à vivre: le sien.

Le jour de son divorce, Benjamin Kasparian (John Turturro), un paléontologiste enseignant à l’Université McGill, apprend que son cerveau grossit de façon irrémédiable, et qu’il lui reste cinq semaines à vivre, durant lesquelles il pourra avoir des hallucinations, perdre temporairement l’ouïe, et devenir amnésique. Dévastés, son ex-femme (Katherine Borowitz) et son meilleur ami (Oleg Kisseliov) tentent tant bien que mal d’accompagner Benjamin, qui, suivant les conseils de ses parents morts depuis longtemps, prend son départ imminent avec beaucoup plus de philosophie qu’eux. Il mange, boit et s’offre même une aventure avec une de ses étudiantes (Vanya Rose), jusqu’à ce qu’il réalise la gravité du moment, et décide de déterrer les os de ses parents, afin d’aller les enfouir, escortés de ses deux acolytes, dans leur Arménie natale.

Avec une histoire pareille, l’une des grandes qualités du second long métrage écrit et réalisé par Arto Paragamian (Because Why) est d’être une comédie, et plus précisément une comédie dramatique sur la mort. Mené par un Turturro en grande forme, Two Thousand and None dose habilement l’humour noir et l’absurde, le symbolisme et la tendresse, le spirituel et le trivial. Présent dans chaque scène, John Turturro est à l’image du film (à moins que ce ne soit l’inverse…): sobre, drôle, touchant et doucement excentrique. Le reste de la distribution est à la hauteur, sauf Oleg Kisseliov qui détone, mais pas suffisamment pour mettre en péril l’équilibre du film.

Producteur de Two Thousand and None (ainsi que de The Hanging Garden et Lilies), Arnie Gelbart a fait ses débuts dans le cinéma comme assistant-réalisateur de Luis Bunuel, pour Le Charme discret de la bourgeoisie, et de Dusan Makavejev, pour Sweet Movie. Un rapprochement de circonstance puisque l’on retrouve dans ce film-ci certains traits caractérisant les films de ces deux cinéastes. Entre autres, le ton très particulier avec lequel Arto Paragamian aborde la mort, une franchise mêlée de légèreté qui n’a vraiment rien de nord-américain. Pour retrouver cette combinaison de farce et de philosophie avec laquelle le cinéaste montréalais traite son sujet, il faut aller du côté de l’Europe ou de l’Amérique latine.

On y rencontre même une naïveté assumée qui était la marque de commerce de nombreux cinéastes d’Europe de l’Est. À l’heure où l’efficacité est la première vertu de la majorité des réalisateurs occidentaux, il faut savoir ce que l’on fait pour arriver à être naïf sans être malhabile. Et Two Thousand and None est loin d’être un film malhabile. Sans effets de manches ni scène de bravoure, Arto Paragamian signe un beau petit film où l’insolite d’un Jodorowski (Benjamin rêvant d’un organiste en plein soleil, et d’une femme creusant un trou dans un désert parcouru par un homme sur un vélo en forme de poisson fossilisé!) côtoie la douceur ironique d’un Menzel (les déboires des trois amis dans un aéroport arménien). Et confirme le ton distinctif d’un cinéaste singulier.

Voir calendrier
Cinéma exclusivités