Ratcatcher : Des souris et des hommes
Cinéma

Ratcatcher : Des souris et des hommes

Près d’une fenêtre, un petit garçon s’entortille dans un rideau de voile, et l’on ne discerne pas ses traits. On sent juste qu’il est dans son monde, ailleurs. On ne le voit pas, mais lui nous observe. Un seul plan résume parfois toute l’idée d’un film, à la fois son sujet et sa facture.

Près d’une fenêtre, un petit garçon s’entortille dans un rideau de voile, et l’on ne discerne pas ses traits. On sent juste qu’il est dans son monde, ailleurs. On ne le voit pas, mais lui nous observe. Un seul plan résume parfois toute l’idée d’un film, à la fois son sujet et sa facture. Le premier long métrage de Lynne Ramsay, Ratcatcher, pourrait se regarder ainsi: voir la réalité à travers les yeux d’un enfant et, au besoin, savoir s’en détacher, parce que trop affreuse et trop difficile à supporter. Ramsay, auteure de deux court-métrages, a remporté bon nombre de prix en Angleterre avec cette fable triste et belle. Elle rejoint facilement les grands films anglais sur l’enfance, tel If… de Lindsay Anderson.

On entre dans Ratcatcher par un chemin dérangeant, comme si l’on commençait par la fin. Déstabilisé, on devient sensible aux moindres bouleversements; mis d’un seul coup au même niveau d’angoisse que les personnages. En changeant le héros de l’histoire au bout de cinq minutes, Ramsay demande au spectateur de retomber sur ses pattes, de faire son deuil, et de s’accrocher à un autre garçon. Ce dernier s’appelle James (William Eadie); il a 12 ans et vit dans les années 70, à Glasgow. Le quartier est très pauvre; une grève des éboueurs en fait un no man’s land pestiféré dont personne ne veut s’approcher. Les nouvelles du monde extérieur ne parviennent que par l’entremise de la télévision. S’ensuit une série d’épisodes, autant de morceaux de vie qui composent l’apprentissage de ce préadolescent. James est entouré de Ma (Mandy Matthews), qui se cache pour ne pas payer le loyer; de Da (Tommy Flanagan), un chômeur alcoolique, fou de foot et héros à ses heures; d’une grande soeur (Michelle Stewart) presque absente, et d’une petite soeur (Lynne Ramsay Jr.), dont le rire en cascade émeut par sa richesse, une incongruité dans ce taudis. Les enfants courent après les rats au milieu des poubelles, se poussent dans le canal, limite territoriale de l’Enfer tel le Styx; et tous, d’une façon plus ou moins évidente, entretiennent l’espoir d’une vie meilleure, hors de cette prison.

Sans prendre la place de James, le point de vue de Ramsay est celui de ce garçon qui, après un premier traumatisme, se marginalise. Ce début d’adolescence est fragile, et l’on assiste à la dérive d’un individu. La grande intelligence de ce film réside dans la mise en scène précise et moderne de cette dérive: James n’est pas un déliquant; il se bat avec une logique d’enfant sage. Et la réalisatrice livre cette bataille sans se faire plaisir, avec des plans essentiels, ceux qui reflètent le monde en décomposition de James. Elle laisse parfois la beauté prendre le dessus. Et un rat blanc qui s’envole accroché à un ballon rouge devient poésie; une séance d’épouillage, un geste d’amour; un autobus qui quitte le quartier, un accès au paradis… Rarement la pauvreté n’a paru aussi organique, étouffante comme un étau. Suintante, elle imprègne tout. Un film vibrant.

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