La Moitié gauche du frigo : Surprises sur prises
Cinéma

La Moitié gauche du frigo : Surprises sur prises

Le chômage? Fallait pas en faire un film déprimant. Philippe Falardeau a donc joué l’ironie dans La Moitié gauche du frigo. "J’ai pas le choix, assure le réalisateur de 32 ans, je suis incapable d’observer la réalité sans humour."

Le chômage? Fallait pas en faire un film déprimant. Philippe Falardeau a donc joué l’ironie dans La Moitié gauche du frigo. "J’ai pas le choix, assure le réalisateur de 32 ans, je suis incapable d’observer la réalité sans humour." Et il a réussi un drôle d’engin sympathique, rare dans le paysage cinématographique québécois actuel: un film engagé qui ne prend pas le spectateur pour un imbécile et qui fait rigoler. Qu’il ait remporté le Prix du meilleur premier film canadien au dernier Festival de Toronto s’avère donc une excellente nouvelle.

Genèse: Falardeau, gagnant de La Course destination monde, ex-étudiant en sciences politiques et en relations internationales, assistant à la réalisation du film de Jacques Godbout sur Le Sort de l’Amérique et réalisateur d’un documentaire sur l’immigration asiatique, intitulé Pâté chinois, vivait en colocation avec un copain qui cherchait du travail. Même si ledit pote a trouvé du boulot rapido, le désir d’en faire une histoire est resté. Pas un documentaire, qui ne permettait pas l’identification voulue, selon l’auteur, mais une fiction. Sur papier, il y a donc deux colocs, deux grands amis: Christophe (Paul Ahmarani), un ingénieur d’une trentaine d’années qui cherche du travail, et Stéphane (Stéphane Demers), un activiste social impliqué en théâtre. Christophe accepte que Stéphane le suive partout avec une caméra jusqu’au moment où il trouvera un emploi. Mais ce qui était prévu comme un petit projet prend de l’ampleur: Christophe piétine et ne trouve rien à sa convenance, tandis que Stéphane dégote un producteur et une équipe technique. Et, en devenant plus envahissant (il filme le flirt de son pote avec une jolie caissière, Geneviève Néron), il laisse ses idées politiques bousiller les démarches de son copain.

Ce film tire son jus du syndrome Louis 19, Stardom et autres Truman Show, où la caméra omniprésente met le sujet en constante représentation; mais aussi des faux documentaires à la Michael Moore, qui dénoncent sans ambages ce que tout le monde sait déjà: les accrocs de l’économie de marché. C’est Stéphane qui signe le film en ouverture, mais on apprend en générique de fin – sur une délirante chanson de Jésus signée Paul Ahmarani -, que le véritable auteur de cette sombre farce se nomme Falardeau. Vif, mordant, émouvant parfois, quand Ahmarani parle seul à la caméra, ou drôle quand les garçons se mettent à délirer comme des potaches, La Moitié gauche du frigo sonne juste. C’est le genre de film dont on se dit: Tiens! Mais pourquoi ne pas y avoir pensé avant? Enfin quelqu’un qui se moque de soi! Le coup de gueule évident qui rassure sur l’intelligence de ses congénères. Car c’est de nous que parle Falardeau, de grands enfants plutôt correctement éduqués, pris dans une spirale absurde qui pousse un ingénieur à laisser sa guitare chez le prêteur sur gages et qui permet qu’un glandeur patenté fasse du fric sur le dos de celui qui en manque.

Ahmarani crève l’écran de son incroyable énergie, crédible dans la peau de celui qui ne veut pas faire le difficile, mais qui aimerait tout de même avoir un emploi satisfaisant; Geneviève Néron a la luminosité des débrouillards et Stéphane Demers, en retrait derrière sa vidéo, joue les meneurs peu sympathiques: "Stéphane, c’est moi, avance Falardeau. Et je voulais critiquer mon point de vue. Mais en faisant évoluer les deux personnages, je m’aperçois à la fin que, si Stéphane a changé, il n’est pas hors de tout doute qu’il ne refera pas les mêmes erreurs." Pas sûr cependant que cela en fasse un personnage raté, car Stéphane est bien croqué, de la race des grands parleurs et des petits faiseurs, le coeur à gauche et le portefeuille à droite. Et l’on voit clairement que la caméra est ici un outil porteur d’autorité: sans elle, Stéphane est tout nu dans ses idées et n’a pas grand courage pour rattraper l’amitié qui fout le camp.

Même sans citer les noms des compagnies, La Moitié gauche du frigo laisse passer le message, lourdement parfois, ou plus légèrement, en illustrant des cas types, comme le gars qui gagne sa vie en testant des médicaments. Bref, l’autocritique constructive est si peu courante dans ce pays qu’il faut bien la saluer. Et le film est un vrai plaisir. Qu’il ne soit distribué que dans une salle à Montréal n’est qu’une ironie mercantile de plus…

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