Les Rencontres int. du documentaire de Mtl : Pour un temps présent
Cinéma

Les Rencontres int. du documentaire de Mtl : Pour un temps présent

C’est bien connu: les gens heureux n’ont pas d’histoire. Il est donc naturel que la plupart des 49 films présentés aux 3es Rencontres internationales du documentaire de Montréal ne fassent pas dans la légèreté et la désinvolture.

C’est bien connu: les gens heureux n’ont pas d’histoires. Il est donc naturel que la plupart des 49 films présentés aux 3e Rencontres internationales du documentaire de Montréal ne fassent pas dans la légèreté et la désinvolture. Apartheid, Tchernobyl, favelas, Holocauste, enfants autistes ou guerres civiles: les sujets traités sont prenants, mais permettent aux cinéastes d’avoir un vrai regard sur des événements, des réalités qui, trop souvent, servent à nourrir une télévision en mal de fast-food. Ces documentaires d’auteurs sont des prototypes de "films actifs", provocants et personnels, durs et humanistes, devant lesquels il est impossible de rester de glace. Parmi les films présentés, en voici sept qui valent le détour.

Un spécialiste
Des 350 heures du procès d’Adolf Eichmann, en Israël, en 1961, Eyal Sivan et Rony Brauman en ont gardé deux, qui retracent les grandes lignes de la comparution en justice de celui qui fut responsable du transport de millions de juifs vers les camps de la mort. Documentaire à la Wiseman (aucune narration ou digression visuelle), doté d’une remarquable bande-son, Un spécialiste montre ce bureaucrate pointilleux, qui se voyait comme Ponce Pilate, déclarant: "Que des gens aient été tués ou non, les ordres devaient être exécutés en accord avec les procédures administratives." Au-delà de l’horreur de la situation, Un spécialiste met en parallèle la minutie et la froideur extrêmes du processus judiciaire et la précision maniaque avec laquelle cet Hannibal Lecter administratif supervisa une étape décisive de l’Holocauste. Film historique? Pas si sûr. Gageons qu’à l’ère de la mondialisation, les sièges sociaux des multinationales sont remplis de petits Adolf Eichmann, pions obéissant à la loi du marché, aveugles aux réalités humaines. Actuel.

State of Dogs
Coproduction Belgique-Mongolie, cette fausse fiction, de Peter Brosens et Dorjkhandyn Turmunkh, raconte les mémoires posthumes d’un chien de berger, abandonné par son maître, qui a vendu son troupeau, et qui, du coup, devient chien errant, à Ulan Bator. Paysages fantasmatiques, dépouillés et lunaires; chameaux traversant un lac gelé; fête foraine désertée, au milieu de nulle part; festival culturel en pleine steppe: le dépaysement est garanti dans cette évocation poétique du bout du monde. Un film lent qui ressemble à un documentaire animalier à la Walt Disney, réalisé par les frères Dardenne (Rosetta)! Âpre.

Pripyat
Autre coin perdu: Pripyat, ville de 48 000 habitants en 1986, où vivaient les travailleurs de la centrale de Tchernobyl. Une ville aujourd’hui morte, au centre d’une zone de 30 kilomètres carrés entourée de barbelés, gardée par des soldats, soumise à des tests quotidiens. Suivant quelques-uns des employés de la centrale (saviez-vous qu’elle était rouverte depuis l’an dernier?), ainsi que les rares habitants vivant encore là, tels des morts en sursis, le film de Nikolaus Geyrhalter montre, en noir et blanc, un monde exsangue, peuplé de sacrifiés. Accusateur.

Lao Tou
"Lao tou" veut dire "vieux hommes" en mandarin. La cinéaste Yang Li Na en a filmé quelques-uns à Pékin, copains octogénaires qui passent leurs journées assis devant un mur à parler de tout et de rien. Une caméra changeant le comportement de ceux qu’elle filme, Lao Tou commence comme un film sur l’ennui des vieux qui, soudain, ne s’ennuient plus grâce au film. Mais la réalité les rattrape, et la tyrannie des rituels quotidiens et la mort toujours présente reprennent leurs droits. Suivant le rythme engourdi des vieillards, Lao Tou dresse un portrait implacable de la vie solitaire d’hommes devenus inutiles, dans un pays où le grand âge était, autrefois, vénéré. Triste.

La Devinière
La Devinière est un institut belge qui héberge à long terme des enfants et des adultes jugés incurables. On ne leur dit pas grand-chose, ils font ce qu’il veulent, ils s’apprivoisent. Et Benoît Dervaux filme les errances, et recueille les cris et les regards perdus. Il y a celui qui construit des trucs, celle qui mange les cheveux d’une poupée et un grand gars qui ressemble à Jésus et qui, sachant sa folie, semble être celui qui souffre le plus. Animal près des bêtes, il est un homme brisé en parlant à sa mère. Il est à la fois philosophe et petit garçon qui n’a pas pu dominer la souffrance. Documentaire silencieux et attentif. Déroutant.

Les Enfants du Borinage, Lettre à Henri Storck
Patric Jean a voulu rendre hommage à Henri Storck et à Joris Ivens (Misère au Borinage) qui étalaient dans les années 30 la pauvreté des mineurs de la province du Hainaut, en Belgique. Né au Borinage, Jean nous fait découvrir un endroit laissé totalement à l’abandon; même si les mineurs ont disparu. Dans un pays aussi développé que la Belgique, une telle misère glace les sangs. Privés d’éducation, d’argent, de nourriture, de toit, d’estime de soi et de capacité à revendiquer: ils sont prisonniers de la misère et la folie n’est pas loin. Un regard sévère sur une situation honteuse, qui ne semble pas émouvoir outre mesure les acteurs sociaux qui pourraient remédier à la situation. Dans la grande veine des documentaires belges. Sidérant.

Noticias de Uma Guerra Particular
Il y aurait plus d’un mort par heure, par arme à feu, à Rio de Janeiro; la police de Rio, très corrompue, est la mieux entraînée au monde pour la guérilla urbaine; une usine d’armement suisse a pour seul client une des favelas de Rio. En voulez-vous d’autres? Un gamin de 12 ans qui veut tuer un flic parce que c’est prestigieux; des balles sifflantes tirées tous les jours, de colline en colline, entre "seigneurs de la drogue"; un flic, exténué par cette guerre sans fin, ne compte même plus le nombre de morts par jour: voici Rio, la plus belle baie du monde. Le film de Joao Moreira Salles et Katia Lund est monté de façon parfois un peu répétitive, mais avec tous les acteurs de cette vie insensée qui, chaque jour, se préparent à survivre à la guerre. Stupéfiant.

Jusqu’au 19 novembre

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