State and Main : On connaît la chanson
Cinéma

State and Main : On connaît la chanson

Dans une comédie débridée, DAVID MAMET recompose sur le mode mineur ses paramètres de qualité et actualise ceux de la grande comédie romantique américaine. Du bonbon.

Romancier, essayiste, réalisateur, scénariste, poète, David Mamet, c’est Harold Pinter qui rigole, un écrivain majeur à qui le sens de la formule ne manque pas et dont la précision de l’observation est toujours aussi juste. On rappelle, en passant, la réalisation de House of Games, Homicide, The Spanish Prisonner, The Winslow Boy; les scénarios de The Verdict, The Untouchables, Hoffa ou Wag the Dog; les pièces American Buffalo, Glengarry Glen Ross, The Old Neighborhood; l’adaptation de Vanya on 42nd Street, dernier film de Louis Malle, et quelques pièces et livres pour enfants. Entre autres choses. Et là, il débarque avec une petite oeuvre si légère et si agréable qu’on se demande si Mamet ne pousse pas aussi la chansonnette…

State and Main, c’est la comédie romantique dans toute sa splendeur. L’exemple parfait qui démontre qu’on peut encore la réussir. Mamet place son histoire en opposant deux mondes qu’il écorche également: celui des grosses gommes d’Hollywood contre celui des petites gens de l’Amérique. Le cynique réalisateur Walt Price (William H. Macy) vient de débarquer à Waterford, Vermont, pour y tourner une romance d’époque, The Old Mill. Il installe sa troupe, des enragés du cellulaire, dans le vieil hôtel de la ville. Le maire George Bailey (Charles Durning) et son épouse (Patti LuPone) leur ouvrent les bras. Mais les ennuis commencent. La grande vedette du film, Bob Barrenger (Alec Baldwin), a un faible pour les nymphettes et se retrouve impliqué dans un accident avec la jeune Carla (Julia Stiles). Et la star féminine du film, Claire Wellesley (Sarah Jessica Parker), menace de quitter la production parce qu’elle ne veut pas montrer ses seins. Pour une doublure poitrine, c’est 800 000 $ de plus. Au milieu de tout ça, Joe Turner White (Philip Seymour Hoffman), écrivain – et pour la première fois scénariste au cinéma -, doit sans cesse remanier son histoire. Et il accepte l’aide, les conseils, et les doux sentiments de la brillante libraire de Waterford, Ann (Rebecca Pidgeon, madame Mamet dans le civil).

On embarque donc, sur un jazz rythmé ponctué par des images de pellicules "scratchées" en guise de générique, dans un drôle de monde, fait de comédie fine et de délire, le tout saupoudré d’ironie. Précisons que State and Main n’est pas du plus grand Mamet, si l’on s’attend à retrouver la méchanceté mordante, la critique acerbe de la médiocrité, et le jargon des héros désabusés. Mais c’est du Mamet maestro, si l’on prend ce film comme un véritable hommage à la comédie romantique américaine d’antan; comme un exercice de style précis, construit avec la même verve que les autres, mais la sourdine en plus. De la raillerie aimable et poétique sur le mode mineur…

Dans State and Main, on retrouve en effet tous les éléments qui ont fait les grandes heures du genre. Nous sommes dans le monde de Preston Sturges et de Capra. D’ailleurs, le nom du maire, George Bailey, est celui donné à James Stewart dans le classique It’s a Wonderful Life. Et les deux films partagent le même thème: l’indéracinable pouvoir de la seconde chance. Celui de faire les mêmes erreurs deux fois de suite pour Alec Baldwin, ou celui de remettre son honneur sur les rails pour Philip Seymour Hoffman. Pour les amoureux de la comédie romantique, comment bouder son plaisir! Souvenez-vous de Mr. Deeds Goes to Town, toujours de Capra, où un candide joueur de tuba du Vermont se retrouve pris dans les manigances des malins de la ville, à cause d’un héritage: on retrouve la folie douce des deux vieilles amies de Longfellow Deeds dans les petits vieux philosophes, le discours absurde du docteur, la maturité des enfants, et la naïveté des adultes. À Waterford, tout le monde a des réponses à tout, la cosmogonie se résume à la ville; la fierté, au vitrail de la caserne des pompiers; et le passé, à un trou inexpliqué dans la gloire locale des Huskies, et à un incendie qui ravagea des bâtiments, dont le fameux moulin qui devait servir de décor pour The Old Mill. Et Gary Cooper (Longfellow Deeds) lègue toute son innocence au personnage de Philip Seymour Hoffman. Mamet a même concocté les tics nécessaires au héros: son incessant changement de lunettes, sa maladresse et son incapacité à formuler clairement sa pensée, alors qu’il est, justement, le maître des mots dans toute cette histoire!

Enfin, difficile de passer outre au verbe: les phrases assassines lancées à bout portant par le duo William H. Macy (réalisateur) et David Paymer (avocat), du ton las de ceux qui savent d’abord sourire pour mieux tuer par la suite, font mouche chaque fois. Les acteurs s’amusent et le casting est parfait. Les stars sont des nouilles, les artisans du cinéma sont des esclaves, les adolescentes sont un rien perverses, les politiciens sont des pourris, les docteurs, des croque-morts sympathiques, et les écrivains ont le beau rôle… C’est simple, du tout-cuit; mais quand ça roule, on adore ça.

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