O Brother, Where Art Thou? : Plein sud
Cinéma

O Brother, Where Art Thou? : Plein sud

Les frères Coen ont accouché récemment de leur plus grosse production. Mais ils n’ont pas changé pour autant: même univers désaxé, même humour grinçant, même tribu de mésadaptés. Un problème toutefois: leurs voyous semblent avoir subi un décapage.

Les frères Joel et Ethan Coen ont accouché récemment de leur plus grosse production. Mais ils n’ont pas changé pour autant: même univers désaxé, même humour grinçant, même tribu de mésadaptés. Un problème toutefois: leurs voyous semblent avoir subi un décapage. C’est triste à dire mais O Brother, Where Art Thou? ressemble à un récit quelque peu édulcoré de losers aux angles polis. Le tout, sur fond délavé (cela dit, le fini sépia de l’image trafiquée est assez réussi).

Cette fois-ci, les frangins ont peut-être forcé la dose avec ce mélange de conte d’aventures, de récit d’évasion, de film d’époque, de road movie et de comédie musicale. Bref, une proposition formelle ambitieuse que l’histoire ne seconde que timidement. Résultats: à défaut de s’esclaffer, on rit jaune et on lutte pour ne pas se laisser gagner par la nostalgie de leurs personnages délicieusement absurdes (ceux de The Big Lebowski ou de Fargo…).

Dans ce qui se veut une adaptation de L‘Odyssée d’Homère, les Coen ne font que flirter avec la citation sans jamais faire la preuve d’une réelle transposition. Un parcours ardu, une Pénélope dans l’attente, et des monstres parsemant le chemin, sont les rares parallèles qui tiennent. Le reste de l’histoire insiste sur trois prisonniers en cavale, comme on se les imagine: costumes rayés, boulets aux pieds et l’air effrayé. À en croire le décor, le récit se trame quelque part autour de la Grande Dépression. Embourbés dans les champs de maïs, les fugitifs guettent l’occasion pour se fondre dans le paysage sudiste: Ulysse (George Clooney le tombeur, en belette chantante) trimballe au bout de ses chaînes, Pete est l’éternel angoissé (John Turturro, décevant) et Delmar, le grand niais (Tim Blake Nelson, un air résolument abruti). Les trois bagnards ne savent que faire de leur liberté. Alors, ils avancent au hasard Balthazar, là où la mésaventure les mène, et multiplient les déboires tels des héros de bandes dessinées.

Ce qui frappe (et dérange à la fois), c’est justement cette absence de lien entre les scènes, comme s’il s’agissait d’une succession de sketchs, de petites saynètes sans conséquence. En fait, la trame s’apparente à une juxtaposition de capsules attractives (tantôt narratives en jouant sur le suspense, tantôt visuelles en poussant les débordements spectaculaires). Des dizaines de micro-récits, de mini-discours qui se forment comme des bulles et éclatent aussitôt.

Il faut dire que dans leur errance mal assumée, les évadés croisent une faune improbable, alignant sans scrupule le KKK, des sirènes aux t-shirts très mouillés, un cyclope vendeur de bibles (John Goodman) et de la graine de mafieux complexé. Malgré les apparences loufoques, le rendu est peu risible et les personnages souvent sans relief. Et puis, à l’occasion, lorsque gavé d’extravagances l’intérêt du spectateur se fait fuyant, les Coen envoient un air country qui lui fait taper du pied. À l’issue de cette odyssée futile, Ulysse retrouve sa Pénélope, fertile comme une lapine (Holly Hunter, inutile) et conclut ce film qui, au demeurant, reste stérile. Dommage.

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