Suzhou River : Cherchez la femme
Cinéma

Suzhou River : Cherchez la femme

Le parallèle peut paraître vaseux, mais la séquence d’ouverture de Suzhou River rappelle indéniablement celle de Mort à Venise.

Le parallèle peut paraître vaseux, mais la séquence d’ouverture de Suzhou River rappelle indéniablement celle de Mort à Venise. Même dérive sur des eaux boueuses, même lumière glauque d’aurore de fin de siècle, même musique prenante qui précède, dans les deux cas, une histoire d’amour fou, où les frontières entre le rêve, le fantasme et la réalité sont aussi brouillées que les eaux de Venise ou celles de Shanghai. Arrêtons là le jeu des comparaisons, car Suzhou River est résolument moderne, tout en prêtant le flanc à de nombreuses références. En effet, le second long métrage de Lou Ye évoque autant les jeux de miroirs de Vertigo que le romantisme échevelé de L’Atalante, le spleen existentiel de Chungking Express, ou le formalisme faussement improvisé de Boy Meets Girl: pas étonnant pour un cinéaste qui, à 35 ans, a été nourri de cinéma occidental autant que chinois.

Un vidéaste de Shanghai cherche, à travers la ville, la mystérieuse Mei Mei (Zhou Xun), une sirène de tripot, qu’il a aimée et filmée, et qui, sans crier gare, a disparu. De mises en abyme en circonvolutions narratives, l’amant perdu nous amène dans l’histoire – fictive ou réelle, on ne le saura jamais avec certitude – de Mardar (Jia Hongsheng), un coursier pas très net qui, bien qu’amoureux de la jeune Moudan (aussi Zhou Xun), la kidnappe, et ne réalise l’ampleur de son amour que lorsque cette dernière se jette dans les eaux de la rivière Suzhou en lui criant: "Cherche-moi partout, et je reviendrai sous la forme d’une sirène."

Sur cette intrigue plus simple qu’elle n’en a l’air, mais allègrement déconstruite, Lou Ye a signé un film envoûtant et concis (83 minutes), où la manière "nouveau cinéma" est pleinement assumée, et témoigne plus d’une volonté de renouveler des thèmes éternels que d’un désir d’effets de mode. Caméra épaule, cadrages obliques, montage elliptique, gros plans extrêmes et tripatouillage de l’image: les choix formels du cinéaste ne sont que l’écho actuel d’une esthétique de l’instant, de la vérité et de l’intensité, qui marqua de nombreux premiers films, de Godard à Carax, en passant par Gilles Groulx.

Complainte éminemment urbaine sur le désir toujours inassouvi d’aimer à la folie, Suzhou River est aussi une vraie déclaration d’amour à Zhou Xun, et une brillante démonstration de la nature même du cinéma, formidable machine à nous faire prendre le rêve d’un autre pour la réalité…

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