The Pledge : Chose promise
Cinéma

The Pledge : Chose promise

Présenté comme un thriller classique qui va bon train, le dernier film de SEAN PENN est plus pervers qu’il n’y paraît. L’acteur prouve encore une fois qu’il est un brillant réalisateur, un conteur étonnant et un fin meneur de jeu.

Être à la fois bon acteur et bon réalisateur n’est pas chose commune. Sean Penn combine les deux avec un certain style. Après deux excellents films, maîtrisés et troublants, The Indian Runner (1991) et The Crossing Guard (1995), Penn revient à la réalisation avec The Pledge, un troisième opus dérangeant sous des airs de tranquillité et de classicisme. Encore une fois, il pose son histoire dans le décor de l’Amérique profonde, cadre presque vide, idéal pour extraire une certaine folie de l’humanité et distorsionner à loisir les règles du thriller. Tiré d’un roman de Friedrich Dürrenmatt, The Pledge met en scène, dans un coin paumé du Nevada, Jerry Black (Jack Nicholson), un détective sur le point de prendre sa retraite. Le soir où ses amis policiers lui organisent un soirée de départ, on découvre dans les bois environnants le corps mutilé et violé d’une fillette blonde. Black ira annoncer la nouvelle aux parents, et devant la croix que lui tend la mère, il promet à cette dernière qu’il retrouvera le meurtrier de son enfant. Alors que le jeune détective Stan Krolak (Aaron Eckhart) tire des aveux d’un Indien demeuré (Benicio Del Toro), Black suit son instinct et tente d’accumuler des preuves qui étayent sa thèse d’un tueur en série. Les saisons passent et on retrouve Black, propriétaire d’une station d’essence, protégeant une serveuse battue par son ex (Robin Wright Penn) et sa petite fille de huit ans, blonde elle aussi…

Certains réalisateurs ont le don du casting. Penn, comme Soderbergh ou La Bute, sait choisir les bonnes gueules en fonction du rôle. Et ces comédiens sont, en général, de sérieuses pointures. Dans ce cas-ci, la distribution frise presque la surdose de talent. Dans des rôles éclair, minuscules dans le nombre de lignes à déclamer, mais parfois majeurs en ce qui concerne le développement de l’histoire, on reconnaît Helen Mirren en docteure attentive, Vanessa Redgrave en grand-mère brisée, et – surprise – Mickey Rourke en père déboussolé. Dans des rôles de moindre importance, dont la portée est minime sur le plan du récit, Harry Dean Stanton joue un proprio de station d’essence et Sam Sheppard, le supérieur de Nicholson. Et seuls ces éléments peuvent agacer. Pourquoi? Parce que Sean Penn réussit toujours, avec un talent qui tient du regard d’aigle, à croquer la vie rurale, à montrer les moments où il ne se passe pas grand-chose, à décortiquer les habitudes des gens qui n’ont pas un destin exemplaire. Poser sur ces tableaux quasi anonymes des visages qui ne le sont pas du tout étonne. Mais, vu le talent des comédiens et la durée de la scène, on oublie vite à qui on a affaire. Et on se remet à suivre la trace du tueur…

Mais suivons-nous vraiment la sienne? Monté comme un thriller classique, avec musique angoissante, rafales de neige sur cadavre mutilé, élaboration du profil du meurtrier, ponctuation régulière de scènes-clés, et même clichés du genre (découverte du cadavre en montage parallèle, petite blondinette insouciante sur sa balançoire au ralenti, etc.), on croit être en présence d’un scénario cousu de fil blanc qui va nous conduire, en entonnoir, jusqu’au moment où le meurtrier montrera son visage. Or, l’intelligence de Penn nous mène en bateau dans nos propres habitudes: on ne s’aperçoit que très tard que l’on suit le mauvais lièvre; on se rend compte brusquement que l’âge, la retraite considérée comme une mise au rancart, et une vie rude de fin limier peuvent affecter le jugement d’un homme. Si bien habitué aux règles du genre, si captivé par la recherche d’indices pour élucider les crimes, on oublie ceux qui permettent d’éclairer la personnalité du détective; et on ne voit pas tout de suite que ce héros obsessionnel traverse une crise existentielle majeure.

Une nouvelle fois, le duo Nicholson et Penn fonctionne à merveille. Le grand Jack retrouve ses démons intérieurs, ceux du début de sa carrière; ces troubles angoissants qu’il sait cacher puis distiller au compte-gouttes. Et Sean Penn le laisse libre… Ce dernier est un des rares réalisateurs à prendre le temps de nous perdre dans le paysage, de nous appâter avec l’ordinaire des choses. Il nous bombarde de détails insignifiants à première vue, mais qui, une fois mis ensemble, forment un son et lumière complet et dérangeant. Tel est pris qui croyait prendre; il y a du Hitchcock dans cette fausse nonchalance.

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