Claude Miller/La Chambre des magiciennes : Renaissance
Cinéma

Claude Miller/La Chambre des magiciennes : Renaissance

Tourné en numérique, avec une petite caméra digitale, La Chambre des magiciennes, de CLAUDE MILLER, salue le retour en force d’un cinéaste qui a retrouvé une seconde jeunesse.  Chapeau!

En 1975, Claude Miller réalisait La Meilleure Façon de marcher, un premier film extrêmement fort, dans lequel deux moniteurs de colonies de vacances s’affrontaient sur fond d’ambiguïté sexuelle et de jeux de pouvoir. Près d’un quart de siècle plus tard, après être devenu un cinéaste reconnu, qu’on avait un peu trop vite estampillé "qualité française" (Garde à vue, Mortelle Randonnée, L’Effrontée), il renouait avec le versant sombre exploité dans Dites-lui que je l’aime et Le Sourire, en filmant La Classe de neige, un thriller intimiste sur les peurs de l’enfance. À l’approche de la soixantaine, Claude Miller se paie une cure de jouvence avec La Chambre des magiciennes, "second premier film" d’un cinéaste chevronné. En effet, modeste par les moyens techniques et financiers, ce huis clos est un grand film, une fantaisie grave, drolatique et émouvante, sur la peur du réel, l’irruption du sacré et la compassion comme moyen de grandir.

Comme Nationale 7, La Chambre des magiciennes s’inscrit dans la série Petites Caméras, que la chaîne Arte a commandée à sept cinéastes, en leur donnant carte blanche pour un film tourné en numérique, avec une petite caméra digitale, de celles qui se faufilent partout. Rencontré lors du dernier Festival du nouveau cinéma, Claude Miller est, de toute évidence, très attaché à La Chambre des magiciennes. "De tous mes films, c’est, pour l’instant, celui que je préfère parce que je suis spectateur de ce que j’ai fait. Je réalise maintenant que le film aurait été moins bon en 35 mm, parce que j’ai eu entre les mains un outil différent, qui m’a amené à filmer différemment, et qui était adapté au sujet."

Étudiante en anthropologie, Claire (Anne Brochet) s’intéresse aux civilisations primitives, étouffe entre un amant marié et une famille banale, et souffre de violentes migraines. Hypocondriaque qui somatise la médiocrité ambiante, ou hyper sensible, paralysée par l’angoisse et la frustration? Son médecin (Yves Jacques) la met, pendant un mois, en observation dans un hôpital, où elle partagera une chambre avec une jeune femme (Mathilde Seigner), mystérieusement paralysée des deux jambes, et une vieille femme à moitié folle (Annie Noël). Un séjour décisif, qui transformera cette Claire, qui est loin de l’être…

Équipe réduite, équipement léger, mobilité de mouvement et spontanéité de l’expression: les leçons tirées du cinéma direct et des nouvelles vagues des années 60 (de Godard à Cassavetes, en passant par Groulx), et remises au goût du jour par les tenants du Dogma à la Von Trier, trouvent ici un nouveau souffle, appliquées par un cinéaste au langage jusque-là plutôt traditionnel. "Plus que le numérique, c’est d’abord l’idée de la petite caméra qui m’a séduit, mais je ne suis pas assez technicien pour prévoir où ça allait m’entraîner. Au départ, j’avais une attitude un peu opportuniste, en me disant que c’était une bonne occasion de faire un de mes projets fonds de tiroir. C’est un film qui coûtait si peu d’argent, par rapport au 35 mm, que ça m’a libéré, presque inconsciemment: dans l’écriture, dans les dialogues, et dans l’imaginaire. J’ai écrit dans un état d’euphorie, hors de toute pression économique."

"Drame comique", selon le souhait de Miller, La Chambre des magiciennes est inspiré d’un chapitre des Yeux bandés, de Siri Hustved, écrivaine d’origine norvégienne, mariée à Paul Auster. "C’est Anne Brochet qui m’a fait découvrir ce livre, et, quand Siri Hustved a accepté que j’adapte son livre, elle a dit à Anne espérer que j’avais bien saisi l’humour, et que, vu mes films précédents, je n’allais pas en faire une chose totalement sinistre!" L’écrivaine pouvait bien s’inquiéter, vu les thèmes récurrents – angoisse, enfermement, refoulement, phobies – des films de Miller. Mais là, comme si le cinéaste avait libéré un noeud, il aborde un univers qui lui est familier, tout en explorant un ton nouveau où le rire et la peur se mêlent, le grotesque et le drame cohabitent. La vie d’hôpital, quoi.

"Je crois vraiment que la peur, même celle du ridicule, par exemple, est un moteur qui détermine 80 % de nos comportements. C’est toujours des choses un peu phobiques qui m’attirent. Là, c’était la cohabitation avec la souffrance du voisin, avec ce réflexe de se défendre par le rire, face à des choses qui nous épouvantent." Après une entrée en matière qui verse dans l’humour noir, La Chambre des magiciennes devient donc un huis clos où le trivial du quotidien d’un séjour hospitalier est constamment teinté par la menace, réelle ou fantasmée, du corps qui se déglingue, de la perte de contrôle. Ainsi, cette vieille femme à moitié folle, alitée à côté de Claire, et qui fera basculer le cours des choses. "On ne peut pas côtoyer quelqu’un entre la raison et la folie, sans que ça vous renvoie à quelque chose qui est de l’ordre du sacré." C’est là que le film prend son envol, dans ce dérapage contrôlé sur un versant plus spirituel; dimension sacrée parfaitement intégrée à la facture "documentaire", sans être jamais trop appuyée.

La grande réussite de Miller, c’est d’avoir su combiner tous ces aspects avec l’aisance d’un cinéaste aguerri ayant retrouvé une seconde jeunesse. Ce qu’il pouvait y avoir de coincé dans certains de ses films devient, dans celui-ci, le moteur d’une nouvelle énergie. De plus, serrés au plus près, dans un état d’urgence palpable, tous les comédiens sont superbes: Anne Brochet en petite fille de 30 ans qui grandit; Yves Jacques en spécialiste lucide et démoniaque; Mathilde Seigner en terrienne téléphage; et Annie Noël, bouleversante en sorcière des temps modernes.

Après un retour au 35 mm (Histoire de Betty Fisher, tiré d’un livre de Ruth Rendell, avec Sandrine Kiberlain, Nicole Garcia et Mathilde Seigner), Claude Miller compte bien répéter l’expérience numérique avec un film inspiré des trois jours où De Gaulle a disparu, en 1968. "J’aimerais que ce soit un genre de Citizen Kane intimiste, entre Ubu et Docteur Folamour, mais le personnage ne s’appellerait pas De Gaulle – peut-être Charles… Je pense à Marielle." On salive déjà…

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