Du pic au coeur : Du vague à l'âme
Cinéma

Du pic au coeur : Du vague à l’âme

On croque une madeleine, c’est bon, et en trois bouchées, c’est fini. Mais rien que le souvenir de cette pâtisserie permet au temps de se distorsionner.

On croque une madeleine, c’est bon, et en trois bouchées, c’est fini. Mais rien que le souvenir de cette pâtisserie permet au temps de se distorsionner. Y penser, c’est retrouver une saveur, c’est découvrir des couleurs, des sentiments et des odeurs non remarqués à ce moment précis; trop occupé à bouffer que l’on était. Ça a marché pour Proust et ça fonctionne très bien pour le cinéma. Le premier amour, par exemple, le grand, celui qui fait les genoux mous: en le faisant revivre, on garde les meilleurs bouts, on joue avec le trouble, on décuple l’intensité. Bref, en s’éternisant, on permet le mensonge. C’est ce qui a plu à Céline Baril, réalisatrice du film Du pic au coeur. Autour d’une idylle (Serge aime Alice depuis l’enfance, alors qu’elle croit aimer Léon), elle a fouillé dans "la parcelle d’enfance préservée en soi" pour ressortir une vision de conte de fées; pour se laisser aller à la griserie du sentiment, pour se permettre une embardée dans le réalisme magique, au pays de l’amour éternel. "J’ai construit une observation attendrie, je voulais que ce film ait la densité d’un sourire", explique la réalisatrice, déjà auteure de trois films expérimentaux, mais qui ne s’avoue pas aussi aisément romantique! Pourtant… avec Du pic au coeur, on nage en plein Blue Lagoon; on patauge dans le photo-roman sucré: une fille joyeuse en quête d’absolu (Karine Vanasse) vit dans un building-bar-boîte avec son copain qui chante dans un groupe de rock (Xavier Cafeïne) et avec un ami d’enfance, prince charmant à la fois bum et poète, patient et expérimenté (Tobie Pelletier). Ils ont à peine 18 ans, n’ont de comptes à rendre à personne, et imposent leur loi aux adultes moroses qui les entourent et dont on ne veut rien savoir (André Brassard, Bobo Vian, Denis Gravereaux, Peter Batakliev). Ils sont jeunes, beaux et libres. "Ça ne peut pas être comme ça, ce n’est pas un idéal vers lequel je tends, mais c’est une façon d’aborder les rapports amoureux. Nous sommes dans une schématisation très bande dessinée, dans un univers décalé, proche de la normale." C’est le modèle coup de foudre façon Forcier; ça commence dans un building avec une jolie fille qui porte un casque de poils blancs et ça finit avec une jolie fille dans un champ de vaches avec un casque de poils blancs. Entre- temps, c’est baroque, plein de couleurs, de sentiments immaculés et de petites chansons acidulées (signées Jérôme Minière), le tout baignant dans une esthétique friperie, un style bohème-punk-rafistolé. Est-ce le jeu mièvre de Karine Vanasse, si juste pourtant dans le film de Léa Pool; est-ce la poésie forcée des dialogues, ou cette candeur si rose bonbon dans le ton? On en vient à se demander à quoi sert tout ce bel emballage, car le prétexte à faire décoller n’est qu’une historiette mignonette qui, dans un battement de cils, veut nous rappeler qu’on a tous besoin d’être aimés…

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