Un temps pour l'ivresse des chevaux : Le mors aux dents
Cinéma

Un temps pour l’ivresse des chevaux : Le mors aux dents

Générique blanc sur noir mais déjà des choses se trament en fond sonore. Si le cinéma iranien peut se réclamer d’un code, c’est bien celui de faire démarrer l’action avant que nos yeux ne puissent en juger.

Générique blanc sur noir mais déjà des choses se trament en fond sonore. Si le cinéma iranien peut se réclamer d’un code, c’est bien celui de faire démarrer l’action avant que nos yeux ne puissent en juger. Une manière comme une autre de rappeler qu’avec l’islam, la représentation est honnie… Enfin l’image: des gamins fébriles proposent aux passants d’emballer leurs achats fragiles dans du papier journal tout froissé. Le regard suppliant, ils s’engagent à protéger les objets avec leurs petites mains d’enfants brisés. Après une telle introduction, tous les espoirs sont permis. Et pourtant Bahman Ghobadi, kurde de son état, réussira à noyer son sujet dans une mare de misérabilisme, l’air de dire: "Vous soupçonniez la vie d’être dure dans ces contrées, mais attendez, vous n’avez rien vu…" Et, du coup, la représentation sombre dans l’exagération.

Ghobadi brandit haut le drapeau de l’innocence souillée en la personne de cinq orphelins kurdes qui ont vu leur mère expirer en couches et leur père, sauter sur une mine, un récit tiré d’une histoire vraie. Se pointe alors l’ingrate fatalité d’assumer seuls leur survie avec un fardeau sur les bras: un frère nain, rachitique et estropié. Et question de rajouter à l’urgence, on le fait agoniser afin que l’intrigue s’attache à savoir si l’on recueillera l’argent nécessaire pour l’opération qui le remettra d’aplomb. Ayoub, le frère aîné, se lance illico dans la contrebande de marchandises. Chargé comme un mulet, il bravera par un froid sibérien les embuscades et les balles des douaniers de la frontière irakienne. Compagnons de ses convois, des bêtes de somme saoulées au whisky repoussent la limite de leur endurance.

Hormis la surenchère de drames, ce qui décourage dans Un temps pour l’ivresse des chevaux, c’est que, trop concentré à livrer son message social déchirant, le réalisateur (débutant) ne prend pas le temps d’installer l’ambiance. Tout est urgent et le récit ne respire pas; il devient difficile alors d’être touché. Le pathos s’accumule dans une superposition effrénée qui ne semble obéir qu’à une seule logique: faire empirer la situation. Sans doute embarrassé par tant de douleur, le jury de Cannes a décerné la Caméra d’or au film (titre partagé avec Djomeh, d’Hassan Yektapanah, autre film iranien, autrement plus riche et plus maîtrisé). Ce qui se veut le premier film kurde d’Iran est, à bien y penser, un mélange involontaire de documentaire inavoué et de fiction mal assumée. Mélodrame périlleux.

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